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Acte V : 22 – 25 novembre, le temps de la reprise.

Mardi 22 novembre. Par voie de tracts abondamment distribués, les syndicats font part, dès le matin, de leurs positions par rapport au vote. Pour la CGT, dans « une lettre ouverte à tous les donneurs de leçons ou les conseilleurs ne sont pas les payeurs » (c’est la déclaration de Chevènement qui est visée), « dites Non, Non, et Non aux propositions de la Direction ! Dites oui, oui et oui pour les 1 500F ! » Pour la CFDT,  les propositions sont nettement insuffisantes, la direction  peut et doit faire plus, « mais il appartient à chacune et à chacun de se prononcer par vote à bulletins secrets. » FO appelle à «  voter contre la reprise ». Pour la CGC, « Bien que le personnel d’encadrement, n’y trouve pas son compte, il faut saisir l’opportunité de terminer ce conflit sans trop de perdants en votant pour la reprise du travail. » Le vote  se déroule sans incidents au Centre Benoît Frachon.

    Sur un total de 7 389 inscrits, il y a 6 042 votants et 5960 exprimés qui se répartissent

entre 3 252 qui acceptent les propositions et la reprise du travail (54,6% des exprimés)  et 2708 (45,4%) qui refusent les propositions et veulent continuer la grève. 

     Ces résultats plongent tout le monde dans l’expectative. Si une majorité s’est exprimée pour la reprise du travail, l’écart  n’est que de 544 voix alors qu’il était de 676 voix lors du vote du 16 novembre. Entre les deux votes, si ceux qui acceptent les propositions de la direction progressent de 385 voix, ceux qui les refusent progressent de 517 voix. En une semaine, les propositions du médiateur, la pression des directions n’ont donc pas provoqué de changement dans l’état d’esprit de la grande majorité des grévistes. C’est bien le vote des ingénieurs et cadres (environ 700) qui fait pencher la balance. Personne n’est dupe et L’Est Républicain du 23 novembre ne peut titrer que : « Un scrutin qui ne règle rien. Avec seulement 54,56% des votants favorables à la reprise du travail, le vote d’hier n’a pas été suffisamment net pour emporter la décision. »

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22 novembre. Lors du déroulement du vote
au Centre Benoît Frachon

Mercredi 23 novembre.

      Ce matin là, à 8h30, il y a plus de monde que jamais devant la porte des Trois Chênes. La quasi-totalité du personnel, grévistes et non grévistes, se presse devant la porte toujours fermée et solidement gardée par les piquets de grève. La tension est palpable. Les dirigeants syndicaux ont bien du mal à se faire entendre sous les huées des non grévistes venus en nombre pour, forts du résultat du vote, exiger l’ouverture des portes. L’intersyndicale ne parle plus d’une seule voix.

Si la CGT et FO appellent à continuer la grève, la CFDT laisse clairement entendre qu’elle est pour la reprise du travail. Les invectives fusent de part et d’autre, les membres du piquet de grève arrosent un moment des non grévistes virulents à l’aide d’une lance à incendie. Mais la situation ne dégénère pas et l’appel au calme et au sang-froid de tous des dirigeants  syndicaux est entendu. Finalement, la foule se disperse. Quatre à cinq cents grévistes se rendent au Centre Benoît Frachon pour décider de la façon de poursuivre la grève et 1 500, selon L’Est Républicain et de 2 à 3 000, selon Le Pays, non grévistes improvisent une manifestation en direction de la préfecture pour exiger l’ouverture des portes. Tous les autres rentrent à la maison. Le préfet reçoit une délégation des non grévistes et leur assure qu’il demandera à la direction et aux syndicats de se rencontrer pour obtenir l’ouverture des portes.

    En fin d’après-midi, les syndicats font part de leurs positions. La CGT appelle tous ceux qui ont refusé les propositions de la direction à se rassembler pour manifester le lendemain matin. FO est «  pour le maintien jusqu’au bout des piquets de grève ». La CFDT appelle à la reprise du travail par l’obligation à respecter le vote car, explique Claude Migeon, « si on ne le respecte pas, nous discréditons notre organisation syndicale et c’est le préfet, qui sera contraint de faire respecter le vote par la force publique ». Quant à la direction, elle affirme « être optimiste pour une reprise rapide du travail dans l’intérêt de tous. » Elle demande néanmoins à « tout le monde de rester calme car demain deux manifestations vont se retrouver face à face ».

Jeudi 24 novembre.

       Le matin, deux manifestations ont donc lieu en ville sans se rencontrer. De leur côté, 1 000 à 1 500 non grévistes se rendent à la préfecture aux cris « d’ouvrez les portes, respectez le oui »! De son côté, la CGT n’a pu rassembler que 500 personnes derrière une unique banderole sur laquelle sont écris des prénoms d’Alsthomiens et le montant de leur salaire suivis d’un « Suard 108 briques ! Voleur ! ». Le rapport de forces n’est plus le même. La majorité de ceux qui ont voté pour la grève ne sont pas venus. Les dirigeants du syndicat en ont conscience. Prenant la parole lors de la halte devant la préfecture, Bernard Couqueberg déclare que la question du changement de la forme de la lutte est posée, mais qu’il reste à en convaincre les piquets de grève.

     Vers 15h, la CGT publie une déclaration dans laquelle elle précise « qu’après discussion avec ses syndiqués et les manifestants du matin, elle appelle les salariés à poursuivre la lutte sous d’autres formes que l’occupation ».

      En fin de soirée, les piquets de grève de Bourogne lèvent le camp après un mois d’occupation. Dans l’usine de Belfort quelques dizaines d’irréductibles campent encore pour la nuit qu’ils savent être la dernière de cette épopée.

Vendredi 25 novembre.

      Dans la foule qui se presse devant la porte des Trois Chênes, toujours barricadée, le matin du 25 novembre, tous, grévistes et non grévistes, savent que la cause est entendue. Il reste à trouver la dramaturgie qui puisse mettre fin à l’occupation sans qu’il n’y ait ni vainqueurs ni vaincus.

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Le matin du 25 novembre devant la porte des Trois Chênes

      Les directions, qui craignaient que des incidents entre grévistes et non grévistes ne dégénèrent en risquant de relancer le conflit durent donner des consignes de calme à leurs cadres les plus antigrèves et, sans que le scénario n’en fût écrit à l’avance,  une scène surréaliste s’improvise.

     Alors que le jet d’eau vengeur de la lance à incendie maniée par les piquets de grève tient les non grévistes à distance pendant une demi-heure, vers 8h50, la porte s’entrebâille et les partisans de la grève, qui sont massés devant la porte,  ouvrent un étroit passage. Mais, surprise, personne ne bouge. Aucun des partisans de la reprise n’ose s’avancer. Heureux de leur effet, les grévistes reprennent de la voix : « Les cadres au boulot ! Les portes sont ouvertes, les cadres au boulot ! Appelez un huissier,

ils ne veulent pas travailler ! »    Vers 9h deux courageux se jettent, littéralement, à l’eau. Pendant une demi-heure, les principaux cadres de l’usine,

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La lance à incendie arrose les non grévistes

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Face à face entre grévistes et non grévistes

un à un, avec des sourires crispés, copieusement arrosés, sous les quolibets et les huées font leur rentrée en passant sous les fourches caudines des grévistes hilares. Ils ne sont guère qu’une cinquantaine à se prêter à cette cérémonie. Les autres non grévistes, estimant sans doute ne pas être suffisamment payés pour subir cette humiliation,  préfèrent rentrer chez-eux. C’est finalement le chemin que tout le monde prend. On ne va pas reprendre le travail un vendredi après une telle grève.

    Dans l’après-midi débutent les discussions sur les modalités de fin de conflit entre directions et syndicats. Elles achoppent rapidement sur la question du paiement des jours de grève.

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Lundi 28 novembre. Une reprise qui ne reprend pas.

       Alors que l’usine Alsthom de La Courneuve est toujours en grève, tous les salariés de Belfort et Bourogne retrouvent leurs ateliers et bureaux le matin du 28 novembre. Est-ce pour autant une reprise du travail ?

       A Bourogne, dès 4h du matin, alors que l’équipe de nuit vient de prendre son poste, une altercation entre un groupe d’ouvriers et un agent de maîtrise dégénère et la grève reprend dans les ateliers, relayée par les équipe de jour, elle dure toute la journée. « La levée des piquets de grève ne signifie pas que nous baissons les bras. On peut se battre autrement. » déclare un salarié au journaliste de L’Est Républicain.

      A Belfort, dès l’ouverture des portes, des assemblées générales sont réunies à l’initiative de la CGT. Les discussions portent notamment sur les salaires et le paiement des jours fériés de novembre que la direction refuse toujours. Des cahiers de revendications sont rédigés. Au total, 1 500 personnes se retrouvent grévistes « sur le tas » durant toute la journée. Le mouvement est d’une spontanéité et d’une ampleur inattendue.

« Nous sommes les premiers surpris. Jamais nous n’aurions pu penser qu’au bout de cinq semaines de conflit nous puissions retrouver des salariés aussi combatifs et aussi déterminés ». déclare un délégué CGT.

Les directions jouent l’apaisement en enjoignant la maîtrise à ne pas jeter d’huile sur le feu.

       Le 29 novembre, un «  protocole de fin de conflit » est signé par la CFDT qui déclare « que ce protocole met fin au conflit sous sa forme d’occupation de l’usine, mais qu’il ne met pas un terme aux revendications et aux négociations. CGC et CFTC joignent leur signature.  Mais ces deux dernières furent-elles vraiment en conflit ?

       Refus de la CGT et de FO car le protocole fait toujours l’impasse sur une augmentation générale pour tous de 1 500F.

       A partir du mardi 29 novembre, le travail reprend doucement. Il faut attendre la semaine suivante pour qu’il ait repris un rythme normal.

        Mais des actions ponctuelles, atelier par atelier, appuyées sur des cahiers de revendications perdurent jusqu’en mars 1995. En particulier, le 20 février 1995, ce sont plus de 1 500 ouvriers qui débraient une heure. Cette pression permet d’arracher encore de substantielles augmentations de salaire.

 

      

       Les acquis :

       Les propositions du médiateur, légèrement améliorées par le protocole de fin de conflit se résument à :

  • Une augmentation dégressive des bases mensuelles brutes de 500F à 100F pour les salaires allant de 7 000F à 9 600F. Cela concerne environ 70% du personnel. Il n’y a plus de salaires inférieurs à 7 100F.

  • Une prime de 1 500F ou 2 000F suivant les filiales.

  • Une revalorisation de 3% de la prime d’ancienneté.

  • Transformation de 173 contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée.

  • Des mesures promotionnelles spécifiques pour les femmes.

  • La mise en place de préretraites progressives à partir de 57 ans.

  • « Si le compte n’y est pas » dit la CGT dans un tract distribué début décembre, « ces avancées, qui n’étaient pas possibles lors des réunions de délégués d’avant le conflit, le sont devenues par la lutte. A chacun d’en tirer ses conclusions ».

       Ces acquis sont complétés par d’autres augmentations obtenues grâce au maintien de la pression revendicative durant les trois mois qui suivent. Ainsi, faisant le point à la fin février 1995, la CGT fait état qu’à l’Electromécanique, la poursuite de  l’action a permis d’arracher une rallonge supplémentaire de 200 à 350 francs pour quelque 500 salariés dont certains ont obtenu un changement de coefficient. Dans l’atelier d’usinage de la même division, ce ne sont pas 200 francs (protocole de fin de conflit) mais 400 francs d’augmentation qui ont été obtenus. « On n’a pas vu de telles augmentations depuis le blocage des salaires en 82 », atteste Jacques Rambur, le secrétaire général du Syndicat CGT.  (La Vie Ouvrière du 2 mars 1995).

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Les enseignements de la grève de 1994.

Le passage à l’acte.

      Par quelle alchimie, un mécontentement se transforme en colère puis en action ? Question que se pose éternellement le mouvement syndical. S’il n’y a jamais de réponse avant le passage à l’acte, à postériori, nous pouvons repérer des indices.

      Les difficultés de vivre, dues à la faiblesse des salaires est la base fondamentale du mécontentement. Les salaires sont insuffisants au regard des besoins, au regard du travail mis en œuvre (qualifications, technicité des produits fabriqués), au regard des profits distribués aux actionnaires. Il est légitime de vouloir vivre mieux. C’est au travail syndical qu’il revient de mettre en rapport ces idées. CGT et CFDT, les deux syndicats majoritaires, font ce travail, chacun à leur manière, depuis des mois. En particulier la CGT, au niveau de son Union départementale, a invité, au cours  de l’année 1994, chaque syndiqué à établir son budget familial : mettre en rapport la liste des dépenses obligatoires, loyer, remboursement d’emprunt, assurances, eau, gaz, électricité, vêtements…avec le revenu du salaire. Constat : que reste-t-il pour le «  non obligatoire » ? Pratiquement rien. Cette démarche a permis d’extérioriser le sentiment de culpabilité rentrée « qu’on n’y arrive pas » et de légitimer l’aspiration à vivre mieux.

      Dans le même temps, le patronat, celui d’Alsthom n’est pas en reste, se répand dans les médias pour vanter les profits record qu’il réalise. L’idée, que ce qu’il manque au budget familial se retrouve « dans les poches des actionnaires », fait son chemin. Les « affaires » auxquelles sont mêlés les principaux dirigeants du groupe achèvent de décrédibiliser le discours de la bonne gestion patronale.

      Il reste que pour passer à l’acte, il faut un élément déclencheur, il en faut qui commencent. Cet élément déclencheur, ce sont les jeunes de Bourogne.

     La plupart encore célibataires, adeptes des musiques à la mode, naturellement rebelles dans leur façon d’être et de s’exprimer, ils sont concentrés dans les équipes de travail et déjà solidaires les uns des autres. Toute altercation avec un chef transforme la colère en exaspération et conduit à poser les outils. Et tout commence…

Si certains sont syndiqués, la CGT regroupe environ 25% des effectifs ouvriers d’EGT, ces jeunes n’attendent pas un « mot d’ordre syndical », leur révolte est spontanée, dénuée de vision stratégique.

 

  La grève appartient à ceux qui la font.

     Cette, désormais séculaire, maxime syndicale est encore une fois mise en œuvre.

      Après l’étincelle de Bourogne, «  prendre le temps d’ancrer le mouvement à la base », telle est la stratégie de la CGT. Ateliers par ateliers, bureaux par bureaux, ont lieu des assemblées générales, les décisions sont prises à mains levées, remises en cause, puis confirmées. La première semaine on a l’impression d’un cafouillage.

      Contrairement à 1979, les syndicats n’organisent pas de vote à bulletins secrets pour confirmer la volonté de grève. C’est l’ampleur et la spontanéité de la manifestation du 8 novembre qui en fait office. Tout au long du mois de novembre, la grève se renforce en marchant, aux deux sens du terme, les manifestations et au cours du temps.

        Lors du vote du 22 novembre, sur les propositions du médiateur, la détermination de ceux qui sont en grève est encore intacte. Ce sont les suffrages de l’encadrement qui font légèrement pencher la balance vers la reprise. Alors ? Respect de la démocratie oui, mais, si la grève appartient à ceux qui la font, comment concilier ce respect avec le vote de ceux à qui elle n’appartient pas ? C’est cette dépossession que les grévistes doivent digérer entre le 22 et le 28 novembre.

     

 Le contexte politique.

           François Mitterrand entame la deuxième moitié de son second mandat présidentiel. La déception des couches populaires vis-à-vis d’une gauche qui applique une politique de droite se traduit aux législatives de mars 1993 par un raz de marée de la droite.  L'Assemblée élue est la plus à

droite qu'ait connue la France depuis plus d'un siècle (472 députés de droite sur 577). Mitterrand appelle Edouard Balladur à former un gouvernement de « cohabitation ». Dans le Territoire, si Jean-Pierre Chevènement sauve son siège de justesse, Raymond Forni est battu par le RPR Jean Rosselot.

        Plus d’un an après, à l’automne 1994, la question politique ne se pose pas. Plus personne n’attend quelque chose du président vieillissant, ni de l’insipide Balladur. Le grand patronat a les coudées franches, c’est à lui directement que l’on s’adresse. La « médiation politique » ne joue plus. Tout au plus, le gouvernement s’inquiète t-il de la contagion possible. Remarquons aussi le rôle modérateur du préfet qui n’a pas cédé aux pressions des non grévistes pour faire évacuer l’usine par la police comme le jugement du tribunal lui en donnait la possibilité. Il y eut finalement une sorte de consensus pour attendre la fin de l’orage, aussi et surtout, parce que la légitimité de la revendication salariale faisait l’unanimité dans l’opinion.

 

La remise en cause du management patronal.

       Avec les salaires, c’est l’autre principale revendication. C’est une question récurrente depuis les années 70. La grève de 79 l’avait déjà révélée. Elle joue un rôle unificateur du mouvement car tous se sentent concernés, ouvriers, employés, ingénieurs. A chaque fois, les directions font leur mea-culpa : on a fait des erreurs, on a compris, on va corriger, promesses qui n’engagent pas à grand-chose et surtout qui ne coutent pas cher. 

 

L’écho national.

       Dès la fin de la première semaine de grève, les événements de Belfort font la une des grands quotidiens nationaux, L’Humanité, Le Monde, Libération, Les Echos. Les hebdomadaires, Le Point, Le Nouvel Observateur leur consacrent des

reportages de plusieurs pages à partir de la deuxième semaine. Ils occupent trois pleines pages dans Libération du 18 novembre et deux pages du Monde du 22 novembre. La teneur des articles et éditoriaux est toujours à peu près la même : « c’est le retour des conflits sociaux, conflits des oubliés de la croissance ». L’accent est mis sur l’initiative de « la base » et de la jeunesse. En particulier,  les « apaches » de Bourogne font l’objet de plusieurs interviews.

    Les stations de radio et les chaînes de télévision, qui envolent des reporters sur place, ne sont pas en reste.

     Cette couverture médiatique a permis de populariser le conflit en France, voire au-delà.

      En retour, des messages de soutien, parfois accompagnés de chèques, envoyés par des syndicats ou des particuliers, affluèrent de tous la pays et même de Belgique et du Canada.

 

Les conséquences visibles du conflit.

         Du côté patronal, on assiste à un réaménagement de la pratique du management. La maîtrise reçoit des consignes d’éviter les provocations, surtout en direction des jeunes. Parmi les ingénieurs, les critiques sont mieux écoutées et les recettes managériales importées des Etats-Unis sont mises en veilleuse, quelques temps.

         Il reste une question largement discutée depuis. La politique de filialisation qui entraine la fragmentation de l’usine, qui s’accélère de 1995 à 1998, est-elle essentiellement motivée par la volonté de casser la combativité des ouvriers de Belfort dont la grève de 1994 se trouve être le point d’orgue ?

       De notre point de vue, la réponse n’est pas évidente. Car le processus de filialisation s’inscrit

dans une politique globale des industriels à l’échelle mondiale pour faire pression sur le coût du travail dans le cadre d’une financiarisation accrue de l’économie. Mais il permet aussi, ici, de casser les noyaux de résistance. Sans être le moteur des filialisations et externalisations, la volonté patronale de mettre fin à la combativité ouvrière en a sans doutes accéléré et radicalisé le processus.

        Du côté syndical, si la CGT annonce une soixantaine d’adhésions durant le conflit, elle va subir une scission, dans les mois qui suivent,  au sein de son syndicat des techniciens et ingénieurs. En effet, quelques jeunes ingénieurs d’EGT, adhérents de fraîche date, estimant ce syndicat trop « aligné » sur le syndicat ouvrier, fondent une section syndicale dissidente affiliée à SUD. Présentant des candidats aux élections du Comité d’Etablissement d’EGT en 1997, ils recueillent 43% des exprimés dans le 2ème collège et 33% dans le 3ème collège. Dans le 2ème collège, la CGT passe de 47 à 24% et la CFDT de 39 à 22%. L’implantation de SUD sera durable dans les 2ème et 3ème collèges d’EGT, ce qui permettra à ce syndicat de diriger le Comité d’Etablissement durant  plusieurs mandats, y compris après la reprise d’EGT par Général Electric, mais il reste sans influence dans le collège ouvriers d’EGT, ni dans aucun collège d’Alsthom. Après 2000, c’est la CFDT qui fera les frais de la présence de SUD, elle disparaitra complètement du paysage syndical chez Général Electric.

     Une dernière conséquence de la grève de 1994 est inscrite dans une modification du paysage urbain à la limite nord de l’usine, le long de la rue de la Première Armée,  c’est la disparition de la clôture. Pour éviter dorénavant que quelques centaines de grévistes se barricadent dans l’usine en en bloquant les accès, la direction a choisi la solution radicale de supprimer les murs.

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