top of page

MAI 1968

Petite chronique des événements nationaux.

 

 « La France s’ennuie » écrit le 15 mars 1968 le journaliste Pierre Vianson-Ponté dans le quotidien Le Monde. Quelques semaines plus tard, cette même France est le théâtre d’affrontements violents entre étudiants et forces de l’ordre avant de connaître la plus importante manifestation puis, le plus grand mouvement de grève de son histoire.

   Cet embrasement, d’abord limité à la capitale puis gagnant tout le pays est, pour les commentateurs de l’époque comme pour les historiens d’aujourd’hui, la source d’appréciation et de conclusions fort divergentes.

    Une révolution avortée pour les uns, une crise de société pour les autres, la revanche de mai 1958 pour certains, un tournant dans l’histoire économique et sociale pour d’autres. Seul point d’accord, la soudaineté et la spontanéité du mouvement et un consensus à minima pour le baptiser « Les événements de mai 68 » ou, plus simplement « Mai 68 ».

Le mécontentement étudiant.

    En fait, les évènements de mai débutent en mars. Ils ont pour origine le fort mécontentement des étudiants de la Faculté de Nanterre. Nanterre est une faculté toute neuve qui se veut le joyau de la politique gaulliste pour la jeunesse. Mais les locaux, à peine terminés se révèlent trop exigus, les amphithéâtres surpeuplés et les étudiants ne trouvent pas les conditions d’accueil auxquels ils aspirent. Le dialogue avec l’administration s’avérant impossible, les étudiants bloquent les cours. Le 22 mars, ils occupent symboliquement le bureau du doyen Pierre Grappin. Dans cette agitation émerge une personnalité, Daniel Cohn-Bendit qui crée une organisation dit « Mouvement du 22 mars ».

   Le 29 mars, Nanterre est fermée mais l’agitation gagne les autres facultés parisiennes et plus particulièrement la Sorbonne.

   L’administration universitaire, sans doute sans consignes gouvernementale entend régler le problème de façon autoritaire : huit étudiants de Nanterre passent devant un conseil de discipline. Momentanément ré ouverte, la faculté de la banlieue Ouest, où l’agitation continue, est à

nouveau fermée le 2 mai.

Manifestations, sanctions et répression.

   A la Sorbonne, suite à des affrontements entre étudiants d’extrême gauche et d’extrême droite à propos de la politique américaine au Viêt-Nam, le doyen, prenant modèle sur son collègue de Nanterre, annule les cours, fait fermer les portes et fait appel à la police pour évacuer les étudiants dans la journée du 3 mai.

   Si cette évacuation se déroule sans incident notable, plus qu’un symbole, elle est provocation et le Quartier Latin connaît ses premiers affrontements entre étudiants et forces de l’ordre. Plus de 600 manifestants sont interpellés. Une douzaine d’entre eux est condamnée par des tribunaux de flagrant-délit réunis exceptionnellement le samedi 4 et le dimanche 5 mai.

   Pour protester contre ces sanctions, l’UNEF et le SNESup appellent à manifester le lundi 6 mai. En fin d’après midi, puis en soirée, de nouveaux affrontements opposent étudiants et policiers. La répression est encore plus brutale, il y a officiellement 850 blessés.

   Cette violence provoque une grève générale de l’Université et le mardi 7 mai 30 000 étudiants et lycéens défilent de la place Denfert-Rochereau à la place de l’Etoile.

   Les organisations syndicales CGT, CFDT et FO condamnent la répression et appellent au dialogue. Le gouvernement n’y est pas disposé. En l’absence du premier ministre, Georges Pompidou, en voyage en Asie, Louis Joxe, qui assure l’intérim, prône la fermeté ; la Sorbonne reste fermée et les étudiants condamnés restent en prison.

   Le vendredi 10 mai, une nouvelle manifestation étudiante tourne à l’émeute. Face aux barricades, les forces de l’ordre chargent toute la nuit. Le ministre de l’Intérieur, Christian Fouchet, exige le « nettoyage » du Quartier Latin. Les blessés sont nombreux, les arrestations massives.

  La journée du 13 mai.

  La France est indignée. Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, prend l’initiative d’appeler à une réaction massive du monde du travail pour le lundi 13 mai. FEN, CFDT, UNEF et SNESup s’y associent. Revenu précipitamment d’Iran, Pompidou tente de

calmer le jeu, la Sorbonne est ré ouverte, des manifestants sont libérés. Mais il est trop tard, les syndicats maintiennent leur décision de manifester.

   Le 13 mai, la mobilisation des Français est colossale. Paris connaît son plus grand défilé depuis la Libération. De 200 000, selon la police  à 1 million de manifestants, selon les syndicats, défilent de 10h du matin à 22h dans un cortège long de 7 km.

   Dans toutes les agglomérations et villes du pays, la mobilisation est aussi forte, les cortèges aussi longs, colorés et unitaires.

    Pour la première fois depuis le début de la crise la classe ouvrière entre en scène. En témoignent la banderole qui ouvre la manifestation parisienne qui affiche « Etudiants, enseignants, ouvriers, tous unis ! » et les slogans lancés par les manifestants. Aux « CRS –SS » s’ajoutent « Dix ans ça suffit ! » et « Des sous Charlot ! ».

   Parties de la dénonciation de la violence policière et du soutien aux étudiants, les manifestations se sont transformées en défilés revendicatifs et de contestation du régime.

   Erreur de jugement ou suffisance, de Gaulle n’en a cure. Conformément au calendrier prévu, le mardi 14 mai, le chef de l’Etat se rend en visite officielle en Roumanie.

10 millions de grévistes.

   Ce même mardi 14 mai, les 2 000 métallos de l’usine Sud-Aviation de Bouguenais, dans la banlieue de Nantes, se mettent en grève, occupent l’usine et séquestrent leurs dirigeants. C’est le début de la plus importante vague de grèves que la France n’ait jamais connue. Le 15 mai, l’usine Renault de Cléon, près de Rouen, est en grève avec occupation. Le 16, c’est l’ensemble du groupe Renault, dont l’emblématique usine de Billancourt qui entre dans l’action.

   Sans lancer un mot d’ordre de grève générale, la CGT invite toutes ses organisations à réunir les travailleurs pour décider des modalités d’action.

   A partir du 17 mai, le mouvement de grève fait tâche d’huile. Tous les secteurs de l’économie sont touchés : automobile, métallurgie, chimie, bâtiment, textile, transports, habillement, commerce…Le secteur public n’est pas en reste. Successivement, l’Education nationale, la SNCF, la RATP, EDF-GDF, et même l’ORTF (radio et télévision) rejoignent le

mouvement, suivis, côté privé, des banques et des grands magasins.

  Le 23 mai, soit dix jours après la grande manifestation du 13, la France entière se croise les bras. Le nombre de grévistes est estimé entre 8 et 10 millions.

Spontanées, démocratiques, fraternelles et festives.

   Remarquables par leur ampleur, ces grèves présentent d’autres particularités. D’abord par leur lancement. Il n’y a pas d’ordre national. Mêmes s’ils sont tout acquis, les dirigeants des grandes centrales CGT et CFDT laissent l’initiative aux syndicats d’entreprises de décider démocratiquement par des votes des modalités de l’action sur la base des revendications.

   Importante par les chiffres, la grève l’est aussi par sa diversité. En effet, si les bastions traditionnels de la contestation comme l’automobile, la métallurgie, les mines, les cheminots, les gaziers et électriciens fournissent les plus gros bataillons du mouvement, la grève touche aussi des secteurs nouveaux à faible ou inexistante syndicalisation comme les grands magasins, les banques, la Bourse, les théâtres, les musées, les ministères.

   Moins originales et faisant référence au mythique Front Populaire, les occupations s’accompagnent d’une double volonté de responsabilité et de fraternité. Responsabilité : en organisant les services minima, urgences hospitalières, approvisionnement en eau, électricité et gaz mais aussi entretien des outils de travail. Fraternité : par le dialogue et le respect, prônés et pratiqués, sans oublier le côté festif auquel s’ajoute souvent la promotion d’une culture populaire. Lieux de lutte et de vie, usines et ateliers associent meetings et assemblées générales à des expositions et spectacles, aux sports et loisirs, théâtres et concerts, bals et chansons.

    Les partis politiques, plus que les syndicats, sont surpris par l’ampleur du mouvement et du mécontentement.

   Alors que dans les usines occupées, syndiqués CGT, CFDT ou FO qu’ils soient communistes, socialistes ou sans parti sont au coude à coude, les états-majors, lorgnant sur les éventuels compromis de l’après-gaullisme se perdent en intrigues. Si, dès le 21 mai le PC appelle à une union de la gauche sur un programme de gouvernement et tente de créer

des comités d’action en ce sens, la Fédération de la gauche Démocrate et Socialiste (FGDS), dans laquelle figure la SFIO, la refuse en espérant l’émergence d’une « nouvelle gauche » qui pourrait se passer des communistes, les dirigeants de la CFDT prêtant leur concours à cette stratégie. Dans le même temps, les attaques de l’extrême gauche contre le PC et la CGT, accusée de mollesse, voir de trahison, redoublent.

    Du côté du pouvoir, de Gaulle, dont la visite en Roumanie a été écourtée, prononce le vendredi 24 mai une allocution télévisée décevante. La seule annonce concrète, la tenue proche d’un référendum plébiscite sur la participation est en complet décalage avec les revendications et les aspirations des salariés.    

    Impuissant devant la force tranquille de la grève, le pouvoir choisit la mise en scène de l’émeute pour que la peur s’installe.

    Le 24 mai toujours, parallèlement à une manifestation de la CGT qui réunit à Paris 400 000 personnes, les Comités d’action étudiants, le SNESup et le Mouvement du 22 mars appellent à manifester pour protester contre l’interdiction de séjour frappant Cohn-Bendit. Des barricades s’élèvent et la police charge. Le bilan est particulièrement lourd : 500 blessés, 800 arrestations, 1 mort. La télévision gouvernementale contribue largement à dramatiser la situation.

   Dans le même temps, Pompidou annonce l’ouverture de négociations entre le patronat et les syndicats.

Les négociations de Grenelle.

    Après deux jours et deux nuits d’âpres discussions, du 25 au 27 mai, au ministère des affaires sociales, rue de Grenelle, aucun accord n’est trouvé. Les négociateurs ne peuvent que dresser « un constat » qui fait le point des concessions patronales et des revendications ouvrières restant à satisfaire. Les principales concessions patronales sont : une augmentation de 35% du SMIC, une confirmation et une extension des droits syndicaux, la suppression des abattements de zone pour les salaires. La durée du travail et le pouvoir d’achat sont renvoyés à de futures discussions. Mais d’importantes revendications ne sont pas satisfaites : les ordonnances sur la sécurité sociale sont

maintenues, l’indemnisation des jours de grève est limitée à 50% et surtout, la hausse des salaires n’est que de 10% en incluant les augmentations déjà accordées.

   Devant cette situation, les directions confédérales de la CGT et de la CFDT décident de rendre compte du résultat de la négociation aux travailleurs en grève et de les laisser maîtres de leur décision.

   La réponse est aussi rapide que massive. Dans la quasi-totalité des usines et ateliers, les travailleurs consultés repoussent les conclusions de Grenelle, les estimant insuffisantes, notamment côté Sécurité sociale et salaires.

Ambitions, manœuvres et divisions.

     Si la combativité et l’unité sont toujours aussi fortes sur les lieux de travail, l’éventualité d’une chute de régime attise les ambitions et génèrent de profondes divisions entre directions syndicales et états-majors des partis de gauche.

    Le 27 mai, à l’initiative de l’UNEF, un grand meeting « unitaire » est organisé au stade Charlety à Paris. CFDT, FO et FEN y sont invitées, mais pas la CGT accusée de « trahir » la classe ouvrière. De fait, il s’agit d’une tentative de constituer une nouvelle force politique à gauche pour contrebalancer l’influence communiste. Devant 40 000 participants, en présence de personnalités de la gauche non communistes comme Mendès-France, Mauroy, Hernu, les orateurs confirment l’alliance de circonstance entre gauchistes et réformistes et leur volonté de mettre à l’écart la CGT et le PC.

      Le lendemain, 28 mai, François Mitterrand tient une conférence de presse. Il lance l’idée que «  le pouvoir est vacant ». Il fait savoir qu’en cas d’échec de de Gaulle au référendum et d’élections présidentielles anticipées, il serait candidat et, que s’il était élu, il gouvernerait sans les communistes avec Pierre Mendès-France comme premier ministre.

      En réaction à Charlety et aux annonces de Mitterrand, la CGT appelle le mercredi 29 mai à Paris et dans les grandes villes de province à des manifestations pour l’unité et « l’alternance démocratique ». Si la participation est conséquente, 800 000 personnes à Paris, 70 000 à Lyon et Marseille, le refus ostensible des autres centrales à y participer confirme et étale les dissensions entre les forces de gauche.

La reprise en mains.

Cette division profite au pouvoir. De Gaulle se révèle être un formidable acteur. Dans un premier temps il organise sa disparition pendant 24 heures pour faire sentir le vide qu’il laisserait puis, réapparaît en appelant le peuple à le soutenir.

    Le 29 mai donc, grand émoi dans les sphères du pouvoir : le général a disparu. Il s’est en fait rendu secrètement en hélicoptère à Baden-Baden pour rencontrer le général Massu, chef des armées françaises d’occupation en Allemagne pour négocier le soutien de l’état major des armées en cas de guerre civile. (Quelques jours plus tard les putschistes de 1961 à Alger sont graciés).

   Il réapparaît le lendemain, jeudi 30 mai pour, dans un discours solennel à la radio et à la télévision, annoncer qu’il ne partira pas et ne changera pas de premier ministre. Par contre, il dissout l’Assemblée nationale et, en attendant les nouvelles élections, il demande au peuple de lui manifester son soutien.

   Parallèlement, ses partisans avaient préparé depuis plusieurs jours une grande manifestation qui a lieu à Paris le même jour. Un million de personnes selon les organisateurs, 300 000 selon la police, défilent sur les Champs Elysées en clamant leur soutien au général et en huant syndicats et partis de gauche.

    Cette manifestation est un tournant dans l’évolution du mouvement. Dès le lendemain, le gouvernement remanié prépare les futures élections législatives.

    Si politiquement le pouvoir a repris la main, le mouvement de grève ne faiblit pas. Mais fort du soutien gouvernemental le patronat n’entend pas aller au-delà du constat de Grenelle. Certes, quelques accords sont signés, notamment à EDF et à la SNCF, mais dans la majorité des cas les dirigeants des entreprises refusent toute nouvelle concession, renvoyant à l’après élections d’éventuelles et futures négociations.

Durcissement et affrontements.

    Conséquence de cette intransigeance, la situation se durcit. Des affrontements de plus en plus violents opposent grévistes et forces de l’ordre. Ils provoquent la mort d’un lycéen le 10 juin aux usines Renault de Flins et de deux ouvriers aux usines Peugeot de Sochaux le 11 juin.

     Alimentant l’inquiétude et la lassitude, ces tragédies contribuent à la fin des grèves.

D’abord, reprise des cours dans les lycées le 12 juin puis, évacuation de la Sorbonne le 16 juin, reprise chez Renault le 17, chez Peugeot le 20, chez Citroën le 21.

     Les élections législatives des 23 et 30 juin sont une énorme déception pour les partis de gauche. Recueillant les fruits de sa mise en scène et de la dramatisation orchestrée des événements, le parti gaulliste obtient 10 millions de voix et gagne 118 sièges de députés. A gauche, si le PCF limite ses pertes à 38 députés, la FGDS s’effondre en perdant plus de la moitié de ses élus.

  

Mai 68 à Belfort.

    Contrairement à l’affirmation de Vianson-Ponté, on ne s’ennuie pas à Belfort quand débute l’année 1968.

    Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, poursuivant leur tactique de harcèlement, les Syndicats CGT et CFDT de l’Alsthom appellent à la grève le 9 février, le 21 mars et les 3 et 23 avril. Les revendications principales concernent les salaires, les conditions de travail, l’emploi des jeunes et l’abrogation des ordonnances sur la Sécurité sociale. Chaque fois, plus des deux tiers des ouvriers débraient. Une mobilisation importante qui occulte presque complètement les affrontements qui, à partir de mars, secouent les facultés de Nanterre, puis de la Sorbonne.

Le 1er mai 68.

   Alors que, pour la première fois depuis de nombreuses années, le gouvernement a autorisé les défilés pour la fête du travail, faute d’accord entre les syndicats, il n’y a pas de défilé ou de manifestation commune à Belfort.

   La CGT entend cependant donner un lustre particulier à ce 1er mai, « Journée de la solidarité universelle de la classe ouvrière. »

Les militants se réunissent à 10h à la Maison du Peuple où, après un exposé du secrétaire départemental André Guerrin sur les origines, l’histoire et la signification du 1er mai, lecture est faite d’un manifeste revendiquant notamment : une augmentation des salaires et des retraites, une réduction du temps de travail, l’abrogation des ordonnances sur la sécurité sociale et la paix au Viêt-Nam.

   Puis, seize militants sont décorés de la médaille de la fidélité à la CGT, témoignage

d’amitié et de reconnaissance pour leurs quarante années et plus de militantisme, les plus anciens ayant adhéré au Syndicat en 1916, 1921 et 1922.

   Après cette courte pause commémorative, l’action reprend dans le bâtiment dès le vendredi 3 mai. Pour appuyer ses revendications, qui portent sur les salaires et les conditions de travail, le Syndicat CGT du bâtiment lance un appel à la grève couplé avec un meeting à la Maison du Peuple à 17h.

   Ce même vendredi 3 mai, les soudeurs de l’Alsthom débraient toute la journée pour leurs salaires et classifications. La direction promettant une remise en ordre des classifications et des salaires au plus tard en juillet, le travail reprend le 7 mai.

Mais à l’Alsthom, c’est parmi les dessinateurs qu’un mouvement d’ampleur démarre le 9 mai. A l’appel de la CGT et de la CFDT, 80% d’entre eux cessent le

travail. Se rendant compte de la détermination des grévistes, le directeur Amstad reçoit dès le lendemain une délégation et promet « un prompt et proche réexamen des classifications et des traitements. »  

​

   La journée du samedi 11 mai.

La manifestation du 11 mai 1968. Au premier rang on peut reconnaître, de gauche à droite : Michel Grimont, André Guerrin, Paul Bois, le député Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Lacaille..

    Ce même 10 mai, sentant le climat revendicatif prendre de l’ampleur dans les entreprises, les Unions départementales CGT et CFDT appellent à un « grand rassemblement des travailleurs pour exiger l’organisation rapide à l’Assemblée nationale d’un débat portant sur l’amélioration du pouvoir d’achat

Mai 68 1.jpg

La manifestation du 11 mai 1968. Au premier rang on peut reconnaître, de gauche à droite : Michel Grimont, André Guerrin, Paul Bois, le député Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Lacaille...

Mai 68 2.jpg

des salaires, la lutte contre le chômage, l’abrogation des ordonnances sur la Sécurité sociale et le respect des liberté syndicales » pour le lendemain 11 mai. Les travailleurs de Montbéliard et d’Audincourt sont invités à se joindre au mouvement.

    L’appel est entendu. Le samedi, de nombreuses voitures, drapeaux déployés et klaxons hurlants, effectuent le trajet Montbéliard Belfort se joignent au cortège de plus de 1 000 personnes qui traverse la Cité du Lion de la maison du Peuple à la préfecture où prennent la parole Guerrin pour la CGT et Werdenberg pour la CFDT. Aux revendications pour lesquelles le rassemblement est organisé s’ajoutent les appels à la solidarité aux étudiants parisiens victimes de la sauvage répression de la nuit précédente, qui alimente toutes les discussions.

Lundi 13 mai. Le Territoire manifeste.

    La manifestation à peine terminée, les deux Unions départementales, auxquelles s’associe la FEN, se réunissent et, conformément au mot d’ordre

Werdenberg, Lacaille et Guerrin prennent la parole devant la préfecture.(Archives UD CGT)

national, lancent un appel à la grève générale pour le lundi 13 mai. Un grand rassemblement est prévu à la Maison du Peuple à 10h. Les étudiants belfortains, encore peu nombreux à l’époque, et les lycéens sont appelés à se joindre au mouvement. Le dimanche matin des voitures radio sillonnent la ville pour propager l’appel auquel s’associe la FGDS du Territoire.

   Comme dans toutes les villes de France, Belfort connaît, le lundi 13 mai, une exceptionnelle manifestation. Plus de 3 000 personnes se rassemblent dans la matinée devant la Maison du Peuple. Mais, plus que par son nombre, c’est par sa composition que cette manifestation est originale. Plus de la moitié des participants sont des étudiants et, surtout des lycéens. Les slogans et banderoles vont du « libérez nos camarades », allusion aux étudiants parisiens emprisonnés, au plus politique « dix ans ça suffit ! » ou « Charlot au repos ! ».

   Un cortège bruyant et coloré, émaillé de drapeaux rouges, se met en branle en rangs serrés pour se rendre à la préfecture. A sa tête,   les dirigeants syndicaux, Lacaille, Guerrin, Werdenberg, Chrétien (FEN), rejoints par le député Michel Dreyfus-Schmidt, se tiennent au coude à coude.

Mai 68 3.jpg

Les jeunes ouvriers et lycéens mêlés sur le perron de la Maison du Peuple le 13 mai 1968. (Archives UD CGT)

Mai 68 4.jpg
Mai 68 5.jpg

13 mai 1968, sur le perron de la Maison du Peuple
(Archives UD CGT)

Mai 68 6.jpg
Mai 68 7.jpg
Mai 68 8.jpg
Mai 68 9.jpg
Mai 68 10.jpg

13 mai 1968, ambiance (Archives UD CGT)

Sur la place de la République, aux orateurs habituels, Guerrin et Werdenberg, se joint un délégué de l’Ecole nationale d’Ingénieurs de Belfort qui se fait gentiment chahuté par les lycéens quand il se présente comme « le seul véritable représentant des étudiants. »

   A l’issue de la manifestation, le préfet reçoit une délégation composée des représentants des syndicats ouvriers et enseignants mais également d’un délégué étudiant de l’ENIB et d’un délégué des lycéens. Trois « politiques » les accompagnent : Le député Michel Dreyfus-Schmidt, le maire de Belfort Jean Legay et le président du Conseil général Emile Géhant.

 

    Les revendications principales transmises au représentant de l’Etat sont : la libération immédiate des étudiants parisiens arrêtés, l’ouverture rapide de négociations sur les salaires et sur le devenir de l’école.

   Parallèlement à la manifestation, l’ordre de grève générale est bien suivi dans le département. Dans les services publics les pourcentages de grévistes sont élevés : 80% à EDF-GDF, 100% dans l’enseignement supérieur, 75% dans l’enseignement secondaire, 60% dans le primaire, 90% aux services municipaux, 80% aux finances, 65% à la sécurité sociale. Dans le privé, les usines Alsthom, Unelec, Bull, Maglum sont fermées. A Delle et Beaucourt, 50% des salariés ont débrayé.

    En fin de journée, l’UD CGT publie un communiqué qui souligne que « La classe ouvrière, unie et solidaire des étudiants en lutte et des enseignants, vient de faire la preuve de sa puissance. (…) Le mouvement recèle une profonde volonté de changement dans le sens du progrès social et de la démocratie. Le front syndical réalisé dans l’action doit être à présent cimenté ».

​

Une semaine d’attente.

   Mais alors que dans l’Ouest, le Nord et la région parisienne, les travailleurs ne reprennent pas le travail et occupent les usines, dans le Territoire, les syndicats restent dans l’expectative.  La pondération et la prudence du prolétariat local, jamais enclin à se lancer dans des actions hasardeuses et aventureuses, sont sans doute renforcées par une méfiance vis-à-vis des leaders du mouvement étudiant parisien qui se répandent en leçons et admonestations aux syndicats ouvriers et en particulier à la CGT.

Mais, l’attitude méprisante du pouvoir, la « chienlit » dénoncée par de Gaulle et surtout les consignes du Comité national de la CGT qui recommande à ses adhérents « de prendre avec hardiesse toutes les initiatives nécessaires au développement des actions », balaient les dernières réticences.

   Le samedi 18 et le dimanche 19, les responsables CGT et CFDT se réunissent ensemble sans désemparer. Après plusieurs heures de discussion, ils décident de procéder   le lundi matin, dès la reprise du travail, à des consultations dans toutes les usines du département. Les salariés devront se prononcer sur la nature des revendications et sur les moyens de les faire aboutir, grève avec ou sans occupation.

   Dans le même temps, ce dimanche 19 mai, les dirigeants des UD saluent avec plaisir et humour « les cheminots, premiers salariés du département à mettre sur les rails le train de la grève. »

   En effet, depuis le samedi 18 à midi, la gare et le dépôt de Belfort sont occupés suite à la décision prise en commun par les syndicats CGT, CFDT et FGAAC (autonome). Un comité de grève est constitué, il siège dans la salle des bagages et organise l’occupation par roulements. Il appelle l’ensemble des cheminots à une assemblée générale le lundi 20 mai à 9h.

​

Lundi 20 mai. « D’heure en heure, les grèves s’étendent ».

    Tel est le titre du quotidien local Les Dépêches.  

    Le 20 mai donc, une semaine exactement après la grande manifestation du 13,  les salariés du Territoire entrent massivement et calmement dans la grève. Suivant les directives nationales et conformément aux décisions prises par les responsables locaux, chaque établissement choisit démocratiquement son mode d’action sur la base de ses revendications. A quelques exceptions près, dans le secteur de la métallurgie, le plus important du département, les salariés décident la grève immédiate avec occupation des locaux.

 

     Alsthom.  

    Le lundi matin, après l’ouverture des portes, les salariés sont invités à un meeting d’information qui se tient à 9h à l’intérieur de l’usine. La réunion est

Mai 68 11.jpg

Affichette manuscrite appelant les cheminots à la grève (Archives UD CGT)

brève. La décision est prise de consulter dans la matinée tous les salariés sur l’opportunité d’une grève. Louis Lacaille, le secrétaire du Syndicat CGT des Métaux souligne : « Nous avons voulu qu’aucune décision ne soit arrachée à aucun membre du personnel, ouvrier ou mensuel. »

   Dans la matinée, dans chaque atelier, dans chaque bureau, tous se prononcent à bulletin secret. Le résultat du vote est sans ambiguïté, une large majorité opte pour la grève avec occupation. Dans le détail, les pourcentages sont les suivants : 73,15% pour la grève illimitée avec occupation ; 21,93% contre la grève mais en accord avec les revendications ; 3,47% pour la grève mais sans occupation ; 1,45% contre tout mouvement revendicatif. En début d’après midi, Lacaille rend compte des résultats et, sous les applaudissements des 3 000 salariés présents sur la « place de grève », déclare l’usine occupée jusqu’à satisfaction des revendications. Une occupation qui commence à la minute même, 14h47, l’heure « H » de la grève. Lacaille tient à préciser : « Cette grève sera menée avec intelligence et dans la réflexion. Nous sommes contre la violence, nous n’enfermerons pas les directeurs dans les bureaux. (…) Demain, personne ne travaille, sauf la direction…sur nos revendications. On ne permettra pas le travail. C’est nous qui sommes les maîtres et les dirigeants de notre usine. Nous n’obligerons personne et en particulier les femmes à séjourner dans l’usine, encore que pour être efficace, on ne fait pas grève dehors, mais dedans. Nous voulons éviter un lock-out, toujours possible ».

Mai 68 12.jpg

Les Dépêches du 21 mai. (Archives départementales)

En attendant l’ouverture de discussions avec la direction, un comité de grève est élu. Il est composé de sept militants CGT : MM. Baumann, Bois, Gagliardi, Jouquez, Lacaille, Maréchal, Travers et de six militants de la CFDT : MM. Grimont, Iund, Knittel, Luttenschlager, Petitcolin, Werdenberg.

    L’occupation s’organise. Les volontaires, en place aux piquets des quatre portes principales, se relaient toutes les deux heures. Les fonctions vitales sont assurées : piquet incendie, service de sécurité, station électrique. La caisse accidents et la coopérative fonctionne. Le réfectoire sert des sandwiches et, rassure Louis Lacaille, « vous aurez la paie du 23 mai. Nous allons examiner avec la direction les modalités de son versement ».

​

Bull.

Le scénario est presque identique à la toute proche usine Bull. A 15h, à l’appel des dirigeants syndicaux, 1 700 employés sur 2 600 quittent le travail et se rendent aux portes de l’usine. Après une courte allocution du

secrétaire du Syndicat CGT Bernard Corniot, des bulletins de vote sont distribués. Sur les 1 600 suffrages exprimés, un millier, soit 62,5% approuvent les revendications syndicales et se prononcent pour une grève illimitée avec occupation.  Comme à l’Alsthom, un comité de grève organise l’occupation et assure la sécurité de l’usine.

​

Beaucourt.

   Chez Japy, la grève illimitée avec occupation est décidée après un meeting à 15h où s’exprime MM. Hopp au nom de la CGT, Strub et Nicod pour la CFDT.    Même décision à UNELEC où, souligne la presse locale, « si le travail a repris ce matin à6h45, le cœur n’y était pas ».

A 14h, après un meeting, auquel participe la quasi-totalité du personnel (800 sur 880), la grève illimitée avec occupation est approuvée à main levèe.

​

​

Giromagny.

  Les salariés de l’usine Maglum se prononcent également pour une grève illimitée avec occupation.

​

 Delle.

  Si, ce lundi 20 mai les usines fonctionnent normalement, les responsables syndicaux des quatre établissements principaux, UDD-FIM, Sidebo, Amstutz et Thécla, après s’être réunis toute la journée, lancent un appel à la grève pour le lendemain, mardi 21 mai. L’appel est entendu et des piquets de grève se mettent en place aux entrées des usines UDD-FIM, Sidebo et Amstutz. Les salariés de Thécla rejoignent le mouvement un peu plus tard dans la matinée, après intervention et exhortation sonores des grévistes des trois autres usines.

Ce même mardi, un comité de grève inter-usines et intersyndical est mis en place. Composé de seize membres, il élit domicile au Centre culturel mis à sa disposition par son directeur. Le même jour également, la grève s’étend à d’autres petites usines delloises : les Ets Vernier (35 salariés) et Grandjean-Gluntz (30 salariés).

​

 Châtenois-les-Forges.

  Après un meeting tenu à 13h30, les salariés de l’usine ACMER approuvent un cahier de revendication présenté conjointement par les syndicats CGT et FO. Ils décident également de se mettre en grève en attendant les résultats d’une réunion du Comité d’établissement prévue pour le lendemain. La direction ne faisant aucune concession, le mercredi l’usine est occupée.

​

Grandvillars et Morvillars.

  La grève est totale dans les usines du groupe Viellard-Migeon. « Un événement rarissime » souligne le correspondant de la presse locale. Un cahier de revendications est adressé au PDG Léon Viellard. La grève est également totale à l’atelier de polissage Châtel de Grandvillars qui emploie 70

ouvriers.

 

Secteur public.

  Les cheminots en grève depuis le samedi 18 sont rejoints le 20  mai par les gaziers et électriciens. La distribution de gaz et d’électricité est cependant assurée pour ne pas pénaliser les ménages et les locaux ne sont pas occupés.

   A la poste, la grève affecte le tri et la distribution mais les guichets restent ouverts.

   Enfin, dans les transports, les chauffeurs des   cars de la STABE sont également en grève illimitée à partir du lundi 20 mai.

​

 Dans l’enseignement.

  La situation est contradictoire. Dans le primaire, les instituteurs sont à leur poste et l’accueil des élèves est assuré. Dans le secondaire, si les établissements sont ouverts, une majorité de lycéens et collégiens sèche les cours. Certains s’organisent, comme au Lycée de garçons de Belfort où le proviseur reçoit les représentants du Comité d’action lycéen auxquels il promet la réunion d’une commission composée de professeurs et de délégués des classes terminales qui décidera de l’éventualité d’une grève.

Mai 68 13.jpg

Piquet de grève aux transports Gondrand (Archives UD CGT)

Mai 68 15.jpg

Occupation d’occupation chez Bull

Mai 68 14.jpg

Aux portes de l’usine Bull

Moins patients, les élèves du Collège technique de Beaucourt, après avoir rencontré le chef d’établissement, installent un piquet de grève aux portes du collège puis défilent dans les rues de la ville le lundi 20 mai.

​

20- 26 mai, la grève s’étend et s’installe.

  Très largement lancé le lundi 20 mai, le mouvement de grève s’amplifie les jours suivants. Les services sont les principaux concernés.

   A la poste, à partir du mardi 21, la paralysie est totale, même aux guichets. La situation est identique à la Sécurité sociale et à la Caisse d’Allocations familiales, grève totale et guichets fermés.

   Dans les transports, les chauffeurs de la STABE sont rejoints par leurs collègues des Trolleybus, des cars Citroën et de la société Cardot.

   Dans les banques, la moitié des employés du CIAL et de la Société Générale cessent le travail. Les syndicats CFDT et FO, réunis à la Maison du Peuple, rédigent un cahier de revendications.

    Autre importante réunion tenue à la Maison du Peuple le mardi 21 mai, celle des ouvriers du bâtiment qui rédigent également un cahier de revendications et le portent à la Chambre des Entrepreneurs.

    Dans le commerce, les syndicats CGT et CFDT des employés se déclarent solidaires des travailleurs en

  

lutte mais assurent leur service pour permettre un approvisionnement normal de la classe ouvrière.

   Le mardi 21 également, outre les usines de Delle dont le cas a été évoqué plus haut, l’imprimerie Peugeot de Châtenois-les-Forges se met en grève.

    Dans les établissements occupés depuis le début de la semaine, les grévistes s’organisent. A l’Alsthom, le comité de grève tient meeting tous les jours, maintient les contacts avec la direction et multiplie les délégations en préfecture, les télégrammes aux parlementaires et aux présidents des groupes de l’Assemblée nationale.

  Chez Bull, outre le meeting quotidien, le comité de grève met en place des activités de loisirs : pêche dans l’étang, concours de pétanque, musique, lecture et projection de films.

  Le mercredi 22 mai, veille de l’ascension, l’activité économique du Territoire est quasiment nulle. Le secteur de la métallurgie (16 000 salariés) est complètement bloqué, non seulement dans les grandes unités mais aussi dans la plupart des petites entreprises comme les ateliers Brechbuhl et Vernerey à Bourogne. La paralysie est également totale dans les transports. Dans le bâtiment, si le pourcentage de grévistes est variable, les travailleurs des grandes entreprises locales, Mangano, Bonato, Tonelli, Gandini, Tournesac, Fiorèse, Pfauvadel, Luthringer, Ziegler, Raymond tiennent un meeting exceptionnel à la Maison du Peuple.

Mai 68 16.jpg

Meeting à l’Alsthom. Prenant la parole, Michel Grimont, à ses côté, Louis Lacaille (Archives UD CGT)

Seules exceptions notables, les établissements textiles ne sont pas encore touchés.

   Dans l’Education nationale, l’ordre de grève lancé par la FEN et le SGEN et largement suivi : 75% dans les lycées, 80% dans les collèges et les écoles primaires. Le seul établissement d’enseignement supérieur du département, l’ENIB, ferme ses portes. Les 215 étudiants décident à l’unanimité « de rentre dans leurs familles. »

La place de la Liberté.

  A l’Alsthom, qui reste le cœur du mouvement, le mercredi 22 mai est jour de baptême. Lors du grand meeting qui débute à 16h, après avoir dressé le bilan des grèves dans l’Hexagone, Louis Lacaille annonce que la place de l’infirmerie, où s’est tenu le premier meeting, sera désormais appelée « Place de la Liberté ». Une plaque symbolique est dévoilée sous les applaudissements des 2 500 ouvriers et mensuels présents.

   Autre moment fort, Lacaille fait hisser sur les toits de l’usine deux drapeaux, le tricolore, « symbole de l’unité nationale » et le rouge, « symbole du sang versé par la classe ouvrière ».

  En fin de journée, une délégation de grévistes est reçue par le maire de Belfort, Jean Legay. L’entrevue est courtoise.

  Dans les autres usines, les comités de grève poursuivent leur besogne d’information par des meetings entrecoupés d’activités ludiques : pétanque et soirées variétés à Delle, bal musette à Beaucourt.

Du côté des revendications, partout règne l’expectative. Les contacts existent mais les patrons refusent toute négociation locale dans l’attente des consignes de leurs organisations nationales.

 

   Le jeudi 23 mai, c’est l’Ascension. Dans le contexte de la grève générale, cette journée traditionnellement fériée conserve un côté particulier, une sorte de respiration, une mini trêve dans le conflit. Certes, les comités de grève continuent de siéger mais l’activité est moins spectaculaire. Les questions matérielles priment : versement des alaires chez Bull, approvisionnement de la Coop à l’Alsthom. La grande usine belfortaine accueil deux visiteurs importants, le député Michel Dreyfus-Schmidt et le président du Conseil général Emile Géhant à qui est demandé une réunion exceptionnelle de l’assemblée départementale. Visiteurs remarqués également, des camarades grévistes d’autres usines de la région, en particulier de Peugeot.

   Les comités de grève préparent aussi les manifestations de fin de semaine. La plus proche est prévue dès le lendemain à Delle avec la participation, aux côté des salariés de la cité frontalière, de ceux du  secteur Grandvillars, Morvillars, Méziré qui se sont dotés d’un comité inter-usines composé de Léon Cartex, Jules Claisse, Gilbert Fleury et Georges Laurençot.

   La manifestation delloise du vendredi 24 mai est un franc succès. « Delle n’avait jamais vécu de tels instants » titrent Les Dépêches. De 16h à 18h, un millier de personnes, ouvriers mais également enseignants, fonctionnaires, employés, artisans et commerçants écoutent les sept orateurs qui, place de la République,  rappellent le programme, les revendications et les modes d’action des comités de grève.

   Ce même vendredi, alors que la France attend l’allocution du général de Gaulle, le comité de grève d’Alsthom-Unelec se déclare prêt à négocier. Cosigné par Louis Lacaille pour la CGT et Michel Grimont pour la CFDT, un message est adressé à la direction parisienne des deux sociétés demandant l’ouverture sans retard de négociations portant notamment sur les salaires, la mensualisation des ouvriers, la retraite à 60 ans, la réduction du temps de travail, les libertés syndicales et le paiement des heures de grève. La réponse des deux directeurs, Glasser et Lagarde est immédiate et analogue. En résumé : dés que les problèmes généraux auront été

réglés au plan national, des contacts seront pris avec les organisations responsables.

    Parmi les revendications syndicale figure aussi l’abrogation des ordonnances sur la gestion de la Sécurité sociale et des Caisses d’Allocation familiales qui, selon les syndicats, confèrent aux patrons une représentation disproportionnée. En conséquence, les conseils d’administration actuels n’ont plus autorité sur la gestion des deux caisses. Dans l’attente de nouvelles élections assurant une plus juste répartition, des comités de gestion provisoires sont mis en place à l’initiative des Unions départementales CGT et CFDT.

   Nouvelle preuve que cette grève est exceptionnelle, le personnel des Nouvelles Galeries décide à son tour et à une large majorité (121 sur 195 votants) de cesser le travail. Le magasin est fermé le vendredi à 18h.

   Le samedi 25, alors que gouvernement et Centrales syndicales ouvrent des discussions rue de Grenelle, se tient à l’usine Alsthom le troisième grand meeting de la semaine. Mille cinq cent salariés se retrouvent place de la Liberté à 10h. Après des commentaires très critiques sur l’allocution du président de la République, les orateurs, Grimont et Werdenberg (CFDT) et Jouquez (CGT) demandent aux ouvriers de rester unis et mobilisés pour faire céder le gouvernement et le patronat. Un appel est lancé pour participer à une grande manifestation prévue le lundi 27.

  Ce même samedi, par communiqué adressé à ses employés, la direction de Bull se déclare prête à négocier.

   Cette longue semaine d’attente se termine dans le Territoire par un meeting unitaire organisé à Beaucourt le dimanche 26 mai. Répondant à l’appel des syndicats ouvriers CGT, CFDT et FO et du syndicat enseignant FEN, 500 personnes assemblées sur la place Salengro applaudissent longuement les interventions des quatre orateurs : Gilbert Hopp (CGT), Gilles Frund (FO), René Choulier (CFDT), et Mlle Renée Wittmer (FEN 90).

​

27 mai, 3 juin, la semaine du tournant.

  La deuxième semaine de grève commence dans le Territoire de Belfort par une réunion exceptionnelle du Conseil général tenue en préfecture le lundi 27

au matin. Après une courte délibération, l’assemblée départementale vote un crédit de 50 000 francs en faveur des familles des grévistes. Réuni quatre jours plus tard, le Conseil municipal de Belfort alloue la même somme aux grévistes de la cité du Lion.

   Dans l’après midi du lundi 27 a lieu une manifestation exceptionnelle tant par son ampleur que par son unité. Sans doute la plus grande des manifestations qui se sont déroulées jusqu’alors.  (Le record sera battu en 1979). Suite à l’appel des syndicats CGT, CFDT et FEN, plusieurs milliers de personnes (5 à 6 000 pour Les Dépêches,  7, 8, 9 000 ou plus pour L’Alsace) se rassemblent devant la Maison du Peuple. Faisant référence au « constat de Grenelle », les différents orateurs sont unanimes, le compte n’y est pas. « Une bricole plus une autre bricole ne fait toujours qu’une bricole !  L’heure n’est pas au relâchement !» clame André Guerrin de la CGT. César Chrétien de la FEN lui fait écho : « Il faut absolument poursuivre la grève ! »

     De 15h30 à 17h, un cortège bruyant et coloré, long d’un kilomètre où se mêlent ouvriers, employés, enseignants et lycéens, traverse la ville, fait deux haltes symboliques devant la Cité administrative puis la Chambre de commerce avant de se disperser place de la république, devant la préfecture, où une délégation intersyndicale est reçue par le préfet Dupuy. Belle occasion pour des jeunes manifestants d’escalader le monument des Trois Sièges et de parer les statues des valeureux défenseurs de Belfort des drapeaux rouges et noirs, à défaut de les voir flotter sur des monuments plus prestigieux.

   Au-delà de son côté festif, la manifestation belfortaine se distingue par son côté unitaire. En effet, alors qu’à Paris et dans les grandes villes universitaires, CFDT, FEN et UNEF se sont employés à écarter la CGT, dans la cité du Lion, l’unité totale est revendiquée et affichée entre les centrales syndicales.

   Le succès de la manifestation conforte l’action et les revendications des syndicats. Aussi, quand les directions des principales entreprises de la métallurgie du département annoncent qu’elles acceptent les propositions de Grenelle, sans surprise les comités de grève des différentes usines les rejettent et réclament l’ouverture de nouvelles négociations.

Mai 68 17.jpg
Mai 68 18.jpg

Deux vues de la manifestation du 27 mai (Archives UD CGT)

C’est le cas à L’Alsthom où, 2 000 salariés réunis place de la Liberté le mardi 28 mai décident à mains levées la poursuite de la grève après avoir entendu Werdenberg dénoncer le « protocole de Grenelle » et Lacaille d’abord mettre en garde contre la rumeur tendancieuse d’un accord passé avec le pouvoir* puis exiger des négociations dès le lendemain pour

« que ceux qui portent des bleus soient sur le même plan que ceux qui portent des blouses », façon imagée de rappeler la revendication de mensualisation des ouvriers.

   Ce durcissement se traduit aussi par l’entrée dans la grève des travailleurs du textile, du commerce et des services.

​

*Dès le début du conflit, la CGT est la cible privilégiée des organisations dites « gauchistes » qui insinuent sans arrêts qu’elle trahit la classe ouvrière. Ce dénigrement est relancé après les négociations de Grenelle en prenant appui sur une manipulation du reportage radiophonique de l’assemblée générale des grévistes de Renault-Billancourt.

  Alors qu’il rend compte aux grévistes de l’état des discussions de Grenelle, le secrétaire général de la CGT, Georges Séguy, lorsqu’il  évoque les arguments et les positions patronales, soulève une vague de huées qui interrompent sa narration. Les médias  rapportent et commentent l’épisode en disant que Séguy a été hué par les travailleurs de Billancourt parce qu’il appelait à la reprise du travail.

Dans un contexte tendu, cette manipulation jette quelque trouble qui oblige la CGT à faire des mises au point.

   Dans le textile, les usines Achtnich de Belfort et Valdoie, le tissage de Danjoutin se mettent en grève illimitée. Les salariés du tissage du Pont à Lepuix-Gy décident de débrayer pendant 24 heures.

   Dans le commerce, après les Nouvelles Galeries et Monoprix, les magasins Schwab, Suma et les Coopérateurs de Lorraine sont touchés par le mouvement.

Du côté des services, les syndicats de l’hôpital décident une grève « symbole et solidarité » d’une heure, le personnel de l’équipement, de 48 heures. Les employés municipaux, qui avaient repris le travail après une première journée de grève, cessent à nouveau toute activité pour une durée illimitée.

​

​

A contrario, des petits établissements rouvrent leurs portes après négociations réussies avec leur personnel. C’est le cas des établissements Vernerey à Bourogne le 28 et Vernier à Delle le 29 mai.

   Ce frémissement prélude à un tournant. Le jeudi 30 mai, après sa « disparition-réapparition », de Gaulle prononce un discours musclé dans lequel il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale, un remaniement ministériel et une manifestation de soutien. Le moral de la droite, jusque là silencieuse, remonte.

   Si, à Belfort, les forces qui soutiennent le gaullisme ne sont pas en capacité de manifester, le front des grèves connaît ses premières fractures. Le travail reprend aux établissements Chatel de Grandvillars, aux forges de Méziré, à l’usine d’hameçons VMC de Morvillars, chez ACMER à Châtenois. Les chauffeurs de la STABE reprennent le volant.

   A l’Alsthom, ingénieurs et cadres CFDT demandent l’organisation d’un vote sur la poursuite de la grève. Même démarche chez les cadres de Bull. La groupusculaire CFTC, totalement absente depuis le début du conflit, se manifeste. Elle écrit au préfet pour lui demander d’assurer « la liberté du travail. » Plus subtile, le patronat de la métallurgie, refuse toujours de négocier tout en rappelant qu’il est prêt à appliquer les  clauses du « constat de Grenelle. »  

​

Conscients des risques d’essoufflement du mouvement, les syndicats de la métallurgie réitèrent leur demande d’ouverture immédiate de négociations.

   La CGT se déclare prête à siéger pendant les fêtes de Pentecôte si nécessaire.

   Le long week-end de Pentecôte n’est pas trêve. Les comités de grève siègent sans interruption. Par crainte d’une intervention des forces de l’ordre ou de l’irruption de non grévistes, les piquets de grève sont renforcés. Un seul incident est à noter. A l’usine Unelec de Beaucourt, des non grévistes entrés en force sont finalement repoussés.

   Le lundi 3 juin, les syndicats CGT et CFDT d’Alsthom-Unelec et Bull tiennent sur le parking Bull une « grande réunion d’information ». Annoncée par tracts et voiture-radio, elle rassemble à 17h plus de 3 000 personnes souvent venues en familles ce jour férié.

   Les orateurs, Guerrin, Lacaille, Corniot (CGT), Grimont et Werdenberg (CFDT) jouent cartes sur table. Les acquis de Grenelle sont insuffisants, la poursuite de la grève est le seul moyen pour obtenir de nouvelles concessions d’un patronat qui table sur l’usure et la division du mouvement. « C’est dramatique de voir à quel point le patronat s’amuse de la classe ouvrière » déplore le cédétiste de l’Alsthom Michel Grimont. « Il ne faut pas céder ! »

​

renchérit le secrétaire de la CGT Bull, Bernard Corniot.

   Même mobilisation et détermination à Delle et Beaucourt où les syndicats, qui tiennent meeting le lundi après midi, informent les salariés du refus de toute négociation de la Chambre patronale de la métallurgie. En répose, les usines Thécla et UDD-FIM sont occupées dans la soirée.

Du 4 au 10 juin. La semaine de la reprise.

   Lendemain d’un long week-end, le mardi 4 juin est la journée de tous les dangers. Dans plusieurs usines, on redoute des affrontements entre piquets de grève et non grévistes.

   Invisibles depuis le début du conflit, la CFTC et son dirigeant Jachym ont lancé, durant le week-end de la Pentecôte, un « appel à tous les travailleurs d’Alsthom-Unelec pour que cesse l’occupation des usines dès le mardi matin. »

   L’opération fait long-feu, entre 150 et 200 personnes se présentent à 7h à la porte principale de l’Alsthom. Derrière deux chaînes tendues à la hauteur du passage souterrain les attendent les responsables syndicaux. Sur les toits, aux fenêtres, derrière les portes, des centaines de grévistes, lances

à incendie branchées, attendent également. Les

non grévistes refluent et rentrent chez-eux.

  Chez Bull, pas d’incident. Les syndicats demandent aux travailleurs de boycotter le vote sur la reprise organisé unilatéralement par la direction.

   Dans le sud du département, la situation est plus tendue. A Delle, les piquets de grève sont renforcés, les lances à incendie mises en batterie pour faire face à une à une tentative d’entrée en force concertée entre les directions et l’encadrement.

    A l’usine Sidebo non occupée, 40 personnes, essentiellement des cadres, reprennent le travail. Chez Thécla, le directeur fait sauter les cadenas bloquant la porte centrale et invite les salariés à entrer. Une invitation à laquelle répondent des cadres, mais pas les ouvriers.

    Au Fil Isolé Moderne, des cadres forcent l’entrée mais les ouvriers ne suivent pas, la direction ferme l’usine. A l’UDD, des cadres massés devant la porte insultent les grévistes. Le PDG Metzger se doit d’intervenir pour éviter l’affrontement et les non grévistes se dispersent.

    Chez Amstutz, le noyau dur la grève, le face à face entre grévistes et non grévistes ne dégénère pas. La direction tente d’organiser un vote, mais moins de la moitié des salariés y participe.

​

 

Mai 68 19.jpg

Meeting sur le parking Bull-Alsthom (Archives UD CGT)

Mai 68 20.jpg

Meeting sur le parking Bull-Alsthom (Archives UD CGT)

Mai 68 21.jpg

Meeting sur le parking Bull-Alsthom (Archives UD CGT)

Mai 68 22.jpg

Meeting du 7 juin sur le parking Bull-Alsthom. La foule attentive écoute Lacaille et Werdenberg (Archives UD CGT)

Unelec-Beaucourt est le point chaud de la journée. Après avoir, sur ordre du directeur, cisaillé les chaînes bloquant les portes, une cinquantaine de cadres entre dans l’usine. Accueillis par l’eau glacée des lances à incendie, ils en viennent aux mains avec les grévistes. Trois personnes, dont le délégué syndical Chevrolet, sont légèrement blessées. Les cadres, n’ayant pas pu entraîner les ouvriers, refluent, le piquet de grève se remet en place.

    Mais la reprise, ébauchée la semaine précédente, se poursuit lentement dans les autres secteurs que la métallurgie. Conditionnelle chez les employés municipaux dans l’attente des résultats des négociations, elle est totale aux Nouvelles Galeries où le personnel a obtenu des augmentations de salaire de 15%.

    Reprise également aux Trolleybus après un accord signé entre la direction et les syndicats CGT et FO.

    Premiers à être entrés en grève, les cheminots reprennent le travail le jeudi 6 juin suite à un accord national, après 18 journées de grève. « Le drapeau rouge ne flotte plus sur la gare et le comité de grève à rendu son bureau et les clés de la maison au chef de gare » (Les Dépêches du 7 juin).

   Ce même 6 juin, la reprise est totale dans les magasins belfortains après signature entre la Chambre patronale du Commerce et les organisations syndicales CGT et CFDT d’un accord prévoyant notamment un salaire minimum et des hausses salariales de 13% en deux étapes.

   La métallurgie reste le point sensible, à la fois par l’importance des entreprises, le nombre et la détermination des salariés et l’évidente mauvaise volonté de son patronat.

   « Alors que depuis la fin des pourparlers de Grenelle et que, conformément aux engagements pris, des discussions se sont engagées dans tous les secteurs, le patronat de la métallurgie refuse toute négociation, obligeant les salariés à continuer la lutte. » constate le cédétiste Michel Grimont.

 Comme sa position  est difficilement tenable, le patronat accepte de rencontrer les syndicats dans le cadre de la Commission paritaire de la métallurgie. Tenue, le 5 juin, à la Chambre de commerce  de Belfort, la réunion tarde à débuter, CGT et CFDT refusant la présence de la CFTC considérée illégitime dans le conflit. Celle-ci se retirant, la réunion peut commencer à 15h15.

Chaque délégation, CGT, CFDT, CGC et FO compte 6 délégués. Plus restreinte, la délégation patronale, conduite par M. Kohler, comprend des dirigeants des grandes usines du Territoire et du Pays de Montbéliard.

Cette réunion se résume à un tour de piste des positions en présence, les patrons s’en tenant aux « conclusions de Grenelle », les délégués syndicaux demandant l’ouverture de négociations à partir de ces « conclusions ». Mais le dialogue n’est pas rompu, un rendez-vous est pris pour le lendemain, jeudi 6 juin à 14h.

   Cette réunion commence par un coup de théâtre. Les directions d’Alsthom-Unelec Belfort et d’Unelec Beaucourt annoncent qu’elles démissionnent de la chambre syndicale patronale pour ne pas être tenues par d’éventuelles concessions faites par leurs collègues. « Une grossière manœuvre » pour les syndicats et une nouvelle preuve de la volonté des dirigeants des usines belfortaines de jouer la carte du pourrissement du conflit.

Dans ce climat tendu, les discussions s’engagent tout de même. Après une modeste proposition patronale, André Guerrin suggère de prendre comme base de départ l’accord salarial intervenu dans la métallurgie du Haut-Rhin. A la demande de la délégation patronale, la séance est suspendue. Les délibérations entre patrons sont longues et aboutissent à de nouvelles propositions. Bien qu’inférieures aux barèmes de Mulhouse, elles s’en rapprochent. Des avancées sont également faites du côté des libertés syndicales, sur les abattements d’âge pour les jeunes et sur la récupération des jours de grève. Les patrons ajoutent qu’il ne leur est pas possible d’aller plus loin et que ces propositions ne seront valables que si la liberté du travail est assurée au plus tard le 10 juin.

   Si, les syndicalistes ne nient pas les avancées, ils rejettent les conditions mises et annoncent que les travailleurs se détermineront sereinement sans tenir compte des pressions et menaces.

   La promesse est tenue. Le lendemain, vendredi 7 juin, un important meeting rassemble sur le parking Bull-Alsthom 2 500 travailleurs d’Alsthom-Unelec. Après lecture et commentaires des propositions patronales, Louis Lacaille annonce la tenue d’un vote.

« Notre lutte arrive à un tournant. Nous allons consulter les travailleurs nous-mêmes car nous

n’avons aucune leçon de démocratie à recevoir. Nous n’imposerons pas de force la lutte, l’action doit être le fait d’une majorité. » Organisé au réfectoire le samedi après midi, le scrutin n’attire pas la foule. Sur 7 461 inscrits, il y a 3 153 votants. Parmi eux, 2 693 se prononcent pour la reprise du travail et 1224 contre. A Unelec Beaucourt, les résultats sont similaires : 455 votants sur 880 salariés, 281 pour la reprise, 168 contre.

   Les autres entreprises métallurgiques du Territoire ne dérogent pas : 60% pour la reprise chez Japy à Beaucourt, majorité également dans les quatre entreprises de Delle, Thécla, Sidebo, Amstutz, UDD-FIM et chez ACMER à Châtenois.

   Dans toutes les usines, la reprise du travail est fixée au lundi matin 10 juin.

   Seule exception dans cette unanimité, l’usine Bull de Belfort où trois votes se tiennent entre le 5 et le 11 juin.

   Dès  le mercredi 5 juin, la direction avait convié les salariés à se prononcer sur la reprise du travail avec la simple application du protocole de Grenelle. L’usine étant occupée, le vote a lieu devant les portes. CGT et CFDT appellent au boycotte. Les espoirs du PDG Albaret sont vite déçus. La participation est faible, 447 employés sur les 1 700 inscrits se prononcent pour la reprise. L’occupation continue et chaque jours les délégués CGT et CFDT

informent leurs camarades sur l’évolution du conflit. A la suite de la deuxième réunion de la commission paritaire de la métallurgie et au vote Alsthom, un meeting rassemble, le dimanche 9 juin, un millier de salariés sur le parking Bull. Bernard Corniot, délégué CGT expose les nouvelles propositions de la direction, notamment en matière salariale et sur la récupération des jours de grève, avant de passer à un vote surprenant, non par son résultat, mais par ses modalités. Les salariés votent avec leurs jambes. Les tenants de la grève sont invités à rentrer dans l’usine, les partisans de la reprise à rester sur place. Les deux groupes sont comptés. Le résultat est serré : 407 sont entrés et 398 n’ont pas bougé. Moins de la moitié des salariés étant présents, Corniot annonce la tenue d’un nouveau vote, à bulletin secrets, le lendemain lundi à 7h.

    Là, la participation est plus importante. Sur les 1 257 votants, une majorité modeste de 698

(55%) se prononce pour la reprise du travail et 537 pour la poursuite de la grève.

   Après consultation de la direction, la reprise est fixée au jour même, le 10 juin, à 13h18.

   A cette minute là, il n’y a plus un gréviste dans le département.

    La situation est toute autre dans le département voisin du Doubs où, dans  l’immense usine de Sochaux rien n’est  réglé.

bottom of page