top of page

L'Alsthom de 1981 à 1993

1981-1982 : Lutter « pour le changement »

​

   Le 10 mai 1981, l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République apporte indéniablement une bouffée d’air frais au mouvement ouvrier.

    Si, au moment de l’investiture du nouveau président,  le 22 mai, le Syndicat CGT appelle les travailleurs à marquer l’événement par un « pot de l’amitié » dans les ateliers, dès le 14 mai il avait alerté : « Cette défaite de Giscard, c’est votre victoire. Elle suscite des espérances légitimes. Mais il ne faut pas que les patrons nous privent de notre succès. Après Giscard, il faut battre le patronat ! C’est dans l’usine que cela doit se faire, dans la lutte pour imposer les revendications et le changement ».

    Suivent la liste des revendications (salaires, réduction du temps de travail, retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, extension des libertés syndicales) et un appel à l’action.

  Après le changement de président, le changement de politique reste à faire.

   Toutefois, ces appels à l’action sont peu entendus, la « vague rose » des législatives, la participation communiste au gouvernement nourrissent l’attente d’un changement venu d’en haut.

    La nécessité de l’action se fait sentir à l’automne sur la question de la réduction du temps de travail. Question sur laquelle les deux confédérations CGT et CFDT sont à peu près sur la même ligne revendicative : aller aux 38 heures rapidement et aux 35 heures dans les trois ans à venir, obtention d’une cinquième semaine de congés payés sans toucher aux jours acquis pour ancienneté. Pour appuyer sur les négociations qui s’engagent avec le patronat, les deux fédérations appellent à une journée nationale d’action dans la métallurgie pour le 17 novembre 1981. Mais la mobilisation n’est pas à la hauteur des espérances syndicales. Les négociations s’enlisant, le gouvernement Mauroy prend une ordonnance début février 1982 qui baisse la durée hebdomadaire légale du travail de 40 heures à  39 heures, instaure la cinquième

P 1.jpg
P 2.jpg
P 3.jpg
P 5.jpg

Débrayages pour les 39 heures de février 1982. En haut, le secrétaire du Syndicat CGT, Daniel Brunet. (Archives CGT Alsthom)

semaine de congés payés et règlemente le recours aux heures supplémentaires. Mais l’ordonnance ne dit pas si la réduction d’une heure du temps de travail entraîne une réduction ou non de la rémunération et si la cinquième semaine de congés fait disparaître ou non les congés d’ancienneté. Le patronat de la Métallurgie s’engouffre dans la brèche laissée par l’ordonnance gouvernementale et entend réduire les salaires avec le temps de travail et supprimer les congés d’ancienneté.

    C’est un tollé syndical et les débrayages massifs d’une heure reprennent les 11, 17 et 18 février 1982.

    Finalement, le patronat cède sur la compensation de la réduction d’horaire et sur le maintien des congés d’ancienneté mais ne consent à réduire effectivement l’horaire que d’une demi-heure et reste très vague sur les réductions à venir. L’accord, signé le 23 février par les Fédérations CFDT, FO et CGC, ne l’est pas par la CGT. L’unité syndicale en prend un coup. Dans un tract du 2 mars 1982, la CGT écrit : « Vous vous attendiez à une heure de réduction d’horaire tout de suite, grâce aux signataires vous n’avez droit qu’à une réduction d’une demi-heure à l’Alsthom. (…) Une nouvelle politique économique et sociale est nécessaire et possible sans demander aux travailleurs de souscrire à une austérité de gauche souhaitée par certains ».

      Le 13 février 1982, la nationalisation de la CGE fait de l’usine de Belfort le plus gros établissement de la plus importante filiale du plus grand Groupe industriel nationalisé.

     Les conséquences sur le terrain sont peu visibles. Certes, les syndicats ont désormais chacun un représentant au Conseil d’Administration, mais avec voix consultative, Ambroise Roux, l’emblématique PDG de la CGE, que d’aucuns considéraient comme le ministre occulte de Giscard, est remplacé par un haut fonctionnaire, mais toutes les directions des filiales restent en place. Les politiques de gestion du personnel restent les mêmes, les revendications aussi. Le « changement » dans l’entreprise se fait toujours attendre. Seule amélioration significative pour le combat syndical : l’instauration de droits de contrôle accrus pour les Comités d’Entreprises et la création des Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail par le ministre du Travail, Jean Auroux.

P6.jpg
P7.jpg
P8.jpg

Grève de la chaudronnerie de mai 1982. En haut, les délégués CGT Bernard Couqueberg et Joachim Reig haranguent leurs camarades. (Archives CGT Alsthom).

P9.jpg

1986-1987. La fin de l’Etat de grâce et  les luttes pour l’emploi.     

   La déception des électeurs de gauche fait perdre la majorité au Parti socialiste lors des  élections législatives de mars 1986. Le président Mitterrand appelle Jacques Chirac au poste de premier ministre. C’est le premier gouvernement de « cohabitation ».

        Cette déception est palpable lors du congrès du Syndicat CGT Alsthom qui se tient le 11 octobre 1986 en présence de Bernard Menuet secrétaire national de la Fédération de la Métallurgie. Dans ses interventions, celui-ci déclare notamment : « Les devoirs et la mission des grands groupes nationalisés auraient dû être les moteurs du progrès, mais on a fait tout le contraire en bloquant les salaires, en portant des coups bas aux libertés syndicales ». Puis il s’en prend aux anciens ministres du gouvernement Fabius : « les Chevènement et les Cresson qui ont préparé le retour de la droite. Hier, c’était les TUC, aujourd’hui les précarisations et les petits boulots ; hier, les plans de rigueur socialistes, aujourd’hui le blocage des salaires ; hier, l’aménagement du temps de travail, aujourd’hui la flexibilité ». L’amertume des militants CGT est d’autant plus grande que leur congrès se tient au lendemain de l’annonce par la direction Alsthom qu’elle a jugé qu’il y avait 2 373 « personnes en trop » dans ses usines françaises dont 637  à Belfort.

       Le 15 octobre, se tient à Paris le Comité Central d’Entreprise qui a cette question à son ordre du

jour. La direction y confirme son plan de suppressions d’emplois qu’elle décline ainsi : 352 personnes âgées de plus de 55 ans dans le cadre d’une convention Fonds National pour l’Emploi (FNE), 40 départs dans le cadre des mesures d’aide au retour des travailleurs immigrés, le reste en « licenciements secs ». De plus entre dix et quinze jours seront chômés en 1987.

      C’est le tollé du côté syndical. La CFDT, dans un communiqué intitulé « Arrêter le massacre ! » déclare : « Alsthom a bradé les fabrications les moins juteuses (petits moteurs), n’a pas investit dans la recherche sur les énergies nouvelles et leur diversification. Nous réclamons d’urgence une négociation sur la réduction du temps de travail et nous nous opposerons à toute mesure autoritaire de la direction lors du volontariat du personnel ». Quant à la CGT, elle marque son désaccord en quittant la séance du CCE, elle appelle à la grève pour la journée nationale d’action interprofessionnelle du 21 octobre et informe qu’elle organise une « marche sur Paris » de l’ensemble du groupe Alsthom pour la deuxième quinzaine de novembre.

La grève nationale interprofessionnelle du 21 octobre 1986.

       Est-ce dû au retour de la droite au pouvoir ? Toujours est-il que les centrales syndicales renouent avec l’appel à la grève nationale interprofessionnelle, mode d’action qui était abandonné depuis le début des années 70. La grogne est particulièrement vive

P10.jpg

La manifestation de la CGT du 21 octobre 1986

parmi les fonctionnaires et assimilées : dégradation de l’emploi et du pouvoir d’achat, démantèlement et privatisation du service public. Au départ, le mot d’ordre n’est pas lancé dans l’unité. L’initiative est prise par un accord entre la FEN, la CFTC, FO, et la CFDT. La CGT, qui hésite, s’y rallie par la suite.

Sans atteindre la déferlante, la grève connaît un succès certain, notamment dans les services publics.

       Sur le plan local, c’est « la grève la plus importante depuis 12 ans » titre L’Est Républicain du 22 octobre. Comme sur le plan national, ce sont surtout les services publics qui sont touchés : 30% de grévistes à la SNCF, 65% aux PTT, 100% chez les pompiers, 50% chez les municipaux, 52% chez les enseignants. Dans les usines le mouvement est moins suivi : Delle, 10% de grévistes à UDD-FIM, 20% à Thècla ; Châtenois, 50 grévistes à Ressort-Industrie ; 150 (8%) chez Bull. Pour l’Alsthom, où la CGT avait mis l’accent sur la protestation contre les suppressions d’emplois,  elle dénombre 1 500 grévistes et la direction 829. Si les grévistes manifestent, ils le font par deux défilés qui ne se rencontrent pas. Le matin, 700 personnes se rassemblent devant la Maison du Peuple à l’appel de la CGT puis défilent en ville jusqu’à la préfecture aux cris de « Les TUC c’est du toc, la CGT a la force de les arrêter ». En fin d’après-midi, un cortège de deux cents personnes défile à l’appel de la CFDT, de la FEN et de FO.

Les luttes contre les licenciements. Première escarmouche, novembre 1987.                          

         En mai 1987, le gouvernement Chirac met fin à l’épisode de la nationalisation de la CGE donc de sa filiale Alsthom. A Belfort, si cette reprivatisation ne soulève pas les passions, c’est sur la question de l’emploi que va naître la tension.

          La direction d’Alsthom met en œuvre son plan annoncé un an plus tôt. Après avoir épuisé les possibilités des départs en FNE et en retours au pays des immigrés, elle compte passer à la suite, c'est-à-dire aux   licenciements « secs ».  A cette fin, elle fait parvenir, au début du mois de novembre,   115 lettres invitant les destinataires à

« profiter » d’une aide à la création d’entreprise ou une prime s’ils sont candidats au départ. Elle espère, sur ce nombre, pouvoir trouver 85 volontaires.

         Ces courriers sont très mal reçus. Outre que les récipiendaires n’y voient pas un cadeau, tous les autres se sentent menacés. Les discussions vont bon train dans les ateliers et dans l’après-midi du mercredi  18 novembre un groupe d’ouvriers du bâtiment 66 décide de poser les outils et de sillonner les autres ateliers pour entraîner leurs collègues. Un bon millier se retrouve place de la Liberté, un comité de grève de 16 personnes est élu et la grève reconductible est votée à mains levées. Les syndicats n’apparaissent pas en tant que tels.

           Le lendemain, jeudi 19 novembre, les mêmes que la veille auxquels d’autres se sont joints se retrouvent au cœur de l’usine, place de la Liberté. Ils sont au moins 1 500. Les dirigeants syndicaux, CGT, CFDT, FO, interviennent. Tous soulignent la spontanéité du mouvement. Sans chercher à le récupérer, ils se mettent à « sa disposition ». Mais que faire ? Trois propositions sont avancées : la grève avec occupation, aller chez Bull pour essayer d’entraîner l’usine voisine dans le mouvement, manifester en ville. C’est cette dernière proposition qui est retenue après avoir voté la reconduction de la grève pour la journée. Vers 14 heures, un bon millier de manifestants prend la direction de la préfecture où, en l’absence du préfet, le secrétaire général reçoit une délégation. La plupart des manifestants rentrent chez-eux sans attendre l’issue de l’entrevue. La direction d’Alsthom est aux abonnés absents. L’usine de Bourogne est en grève totale.

          Vendredi 20 novembre. A 8 heures, il y a moins de monde que la veille lors de l’assemblée générale place de la Liberté. La proposition d’aller chez Bull revient, elle est massivement rejetée. Par un vote majoritaire à mains levées, il est décidé de dissoudre le comité de grève et « de confier  la responsabilité de la lutte aux organisations syndicales dans le respect de la spécificité de chacune d’elles. » Un tract commun, CGT, CFDT, FO et UFICT-CGT,« Appel à tous les salariés » est rapidement rédigé et diffusé.

Il invite l’ensemble du personnel à un rassemblement à 13h30 devant la grande porte, les grévistes fermeront temporairement les portes de l’usine à midi.

        A 13h30, ils sont plus de 3 000, grévistes et non-grévistes, massés devant la grande porte. Les dirigeants syndicaux prennent la parole tour à tour : Claude Migeon pour la CFDT, Jacques Meyer pour FO, Daniel Brunet pour la CGT et Joël Niess pour l’UFICT-CGT. Tous les quatre condamnent les licenciements, fustigent une direction qui est toujours muette et prônent une réduction du temps de travail pour sauver les emplois. Ils exhortent les hésitants, et notamment les employés et techniciens à entrer dans la lutte. « Il est impensable que nous ne soyons pas tous solidaires des quatre-vingt-cinq licenciés » (Daniel Brunet). Un vote à mains levées a lieu pour décider de la poursuite de la  grève pour l’après-midi. Mais il est impossible de compter les mains qui se lèvent et l’évaluation n’est pas facile. Rendez-vous est donné pour lundi avec l’organisation d’un vote à bulletins secrets.  Les portes sont libérées et environ les deux-tiers des présents se rendent au travail.

Le matin du lundi 23 novembre, un vote à bulletins secrets se déroule dans les locaux du restaurant d’entreprise en présence d’un huissier. Même si il est contesté par quelques uns (un tract signé « des travailleurs en grève depuis le début » distribué le matin même pose, entre-autres, la question « depuis quand demande-t-on aux non-grévistes l’autorisation de faire grève ? »), 3 896 salariés sur      6 191 inscrits y prennent part. Le résultat est extrêmement serré : 24,18% sont pour la poursuite du mouvement avec occupation des locaux, 26,52% veulent continuer la grève mais sans occuper l’usine. Soit 50,7% qui se prononcent pour la poursuite du mouvement et 49,3% contre. Une fois encore c’est la tiédeur des employés, techniciens et cadres qui freine le mouvement (65% des ouvriers s’étant prononcés pour l’action contre seulement 35% des    « mensuels ». Ces chiffres mettent les syndicats, qui

veulent éviter un affrontement entre deux blocs de même force,  dans un certain embarras. Après ledépouillement les non-grévistes rejoignent leur poste et les grévistes restent massés place de la Liberté. Les syndicats les invitent alors à investir les bureaux de la direction pour l’obliger à négocier. Peine perdue, la direction jouant au fantôme. Alors que 1967 voix s’étaient prononcées pour l’action le matin, en début d’après-midi, ils ne sont plus qu’un petit millier de grévistes à défiler en ville pour se rendre d’abord à la Direction départementale du Travail où le directeur promet à une délégation de tout faire pour nouer le dialogue avec la direction, puis à la Chambre de Commerce et d’Industrie dont le président reste introuvable.

         La direction ouvre des discussions à partir du 24 Novembre. Tout le monde a repris le travail et les syndicats appellent à la « vigilance ».

         Si la direction ne revient pas sur son plan de réduction des effectifs, elle retire les 115 lettres qu’elle avait envoyées. Elle affinera sa méthode en utilisant au maximum les départs « FNE » et les aides au reclassement, ciblera les salariés les plus vulnérables qu’elle poussera dehors individuellement. Les effectifs passent de 7143 personnes en janvier 1984 à 6 138 en janvier 1989.

​

La grève victorieuse contre les licenciements à la Traction. Novembre, décembre 1993.

        Nouvel épisode dans le grand « Monopoly » européen, le 1er juillet 1989, la CGE et le groupe britannique General Electric Company mettent en commun leurs activités électromécaniques en créant une filiale à parts égales qui prend le nom de GEC-Alsthom. Si l’usine de Belfort change donc de nom une nouvelle fois, la conséquence la plus importante  a lieu trois ans plus tard avec la filialisation de l’activité turbines à gaz. En 1992, avec la création d’Alsthom-Turbines Gaz(ATG) (90% GEC-Alsthom et 10% à l’américain General Electric), commence un processus de découpage qui ne fera que s’accentuer dans la décennie suivante.

Si ATG, qui devient EGT (Européan-Gas-Turbines) en 1991, connait un développement rapide (700 embauches entre 1989 et 1992), les divisions de GEC-Alsthom commencent à connaître de sérieuses difficultés.  En particulier la division « Traction » qui fabrique le matériel de traction ferroviaire, après avoir connu une période faste due notamment aux commandes de la Chine, entame une période de      « vaches maigres » à partir de 1992. Au début de 1993, la Traction compte encore un effectif de 1 270 personnes à Belfort

 Le matin du 18 novembre 1993, le train Zurich-Paris est bloqué devant l’usine.

        Lors d’un Comité Central d’Entreprise, qui se tient à Paris le mercredi 17 novembre 1993, la direction annonce qu’elle estime à 667 personnes, soit plus de la moitié des effectifs, le « sureffectif » à résorber à la Traction à Belfort. Pour cela elle envisage diverses mesures dont 187 licenciements.

La grève de la chaudronnerie de mai 1982.

Dans ce contexte, la seule grève significative de la période de la nationalisation (1982-1987) est celle des chaudronniers en mai 1982.

   Il s’agit de la grève d’un seul atelier, la chaudronnerie, où les conditions de travail sont les plus dures : bruit, insalubrité. C’est pour obtenir la possibilité de prendre une douche après leur journée que la quasi-totalité des chaudronniers et soudeurs (350) débrayent le 6 mai. Comme d’habitude, la direction ne prend pas les revendications au sérieux et refuse d’en discuter. « Tout est normal, il n’y a rien d’exceptionnel, le règlement intérieur et la loi sont respectés. Tout ceci n’est peut-être que le fruit de votre imagination » s’entendent dire les délégués de la part de M. Parisot le chef du personnel. Cette attitude, qui rappelle le conflit de 1979, choque les chaudronniers et renforce leur détermination. Le 10 mai, les chaudronniers, parmi lesquels la CGT est largement majoritaire, reçoivent le soutien des syndicats CFDT et FO. Ils défilent dans les autres ateliers pour populariser leur grève et appeler au soutien financier puis se rendent en cortège à la préfecture.

     Le 15 mai, la direction consent à discuter mais ne fait aucune proposition qui puisse satisfaire les grévistes. Le conflit prend une tournure politique avec l’intervention des sections socialistes et communistes qui fustigent « une direction rétrograde qui refuse de prendre en compte le changement » (PCF), « le 10 mai doit rentrer à l’Alsthom » (PS).

Le 19 mai, une quarantaine de chaudronniers se rendent en car à Paris pour rencontrer les

responsables de la CGE afin qu’ils fassent pression sur la direction belfortaine : sans résultat.  

      Au bout de trois semaines de conflit il y a encore 150 grévistes qui décident de reprendre le travail après que la direction ait accepté de « retoucher » les salaires d’une vingtaine de cas et que les douches puissent être prises à tours de rôles avec un système de bons. La douche pour tous sera généralisée quelques temps plus tard.

     Il reste que ce conflit est symptomatique de la période. Il prend vite un tour « politique » dans le sens où la direction refuse toute négociation pour bien montrer qu’elle reste maîtresse à bord quel que soit le gouvernement. Le « changement » ne la concerne pas et elle le fait savoir par son intransigeance. D’autre part, si les chaudronniers ont bénéficié de la sympathie des autres salariés de l’usine, comme en témoignent les importantes collectes en leur faveur, leur action n’a pas fait tâche d’huile. L’attente que le changement vienne d’en haut et « l’état de grâce » dont bénéficie le nouveau pouvoir marquent majoritairement les consciences.

La nouvelle a l’effet d’une bombe et dès le lendemain, 18 novembre, la quasi-totalité des ouvriers de la Traction arrêtent le travail. A 14 heures, rejoints, à l’appel des syndicats, par quelques centaines d’ouvriers de la division électromécanique, ils bloquent le train Zurich-Paris à hauteur de l’usine puis, huit cents se rendent en manifestation à la gare de Belfort qui est occupée pendant une demi-heure. Ces deux actions, auxquelles la CGC ne s’associe pas, ont pour but de dénoncer les reports de  commande de la SNCF qui, selon la direction, sont à la source des difficultés de l’entreprise, donc des suppressions d’emplois.  A Paris, la deuxième journée de la réunion du CCE se termine par un renvoi de la négociation au niveau d’un Comité d’Etablissement qui se tiendra à Belfort le 25 novembre.

P11.jpg

Le matin du 18 novembre 1993, le train Zurich-Paris est bloqué devant l’usine.

P12.jpg
P13.jpg
P14.jpg

18 novembre 1993, occupation de la gare de Belfort.

 Face à cette situation, les positions des deux principaux syndicats de l’usine divergent. Alors que pour la CFDT, il faut attendre la réunion du CE, pour la CGT, il faut faire monter la pression tout de suite.

       Le matin du lundi 22 novembre, grande effervescence dans les ateliers de la Traction, 350 ouvriers se mettent en grève et font la tournée des autres ateliers. L’après-midi, ils bloquent les ateliers de moulage, de mécano-soudure et d’habillage des TGV. Toutefois, les syndicats hésitent à lancer un mot d’ordre de grève au niveau de l’usine.

        Même scénario le mardi 23 novembre. Dès 7 heures, par un froid glacial, pour tenter d’entraîner dans la grève ceux de l’Electromécanique, les grévistes de la Traction bloquent les deux principales portes de l’usine. Mais les salariés empruntent les autres entrées et les portes sont libérées à 8 heures. Il n’y a plus d’activité dans le hall de montage du TGV Eurostar. La même agitation se poursuit l’après-midi où des ouvriers des autres divisions rejoignent ceux de la Traction pour tourner dans les ateliers.

        Le mercredi 24 novembre, si des « barrages filtrants » sont mis en place le matin aux entrées de l’usine, ils disparaissent au bout d’une heure. Un communiqué commun signé par la CGT, la CFTC et FO appelle à amplifier le mouvement pour le lendemain, jour de la réunion du CE. La plupart des ateliers de la Traction sont toujours paralysés.

        Jeudi 25 novembre. A l’appel de l’ensemble des syndicats, 1 500 salariés débrayent de 8 h  à 9 h 30. C’est le plus important débrayage depuis la grève de 1979. La réunion du CE qui débute à 9h30 se déroule sans incidents. Dès la première suspension de séance, les syndicats annoncent que la direction a revu à la baisse le nombre des licenciements. Ils seraient réduits de moitié : cinquante-cinq au lieu de cent dix. En fin d’après-midi, à l’issue du CE,

ce chiffre est ramené à quarante. Pour autant, les syndicats font savoir qu’ils ne sauraient se contenter de ce résultat, leur objectif restant : pas de licenciements. Forts de ce premier recul de la direction, les trois cents grévistes de la Traction qui ont cessé le travail depuis le 22 novembre décident de suspendre leur mouvement. Les grèves ont aussi éclaté dans les autres usines du groupe GEC-Alsthom touchées par le plan de suppression d’emplois. Au Havre, les salariés ont muré le bureau du directeur pour l’empêcher de revenir sur le site. A Villeurbanne, les forces de l’ordre sont intervenues pour libérer le directeur de l’établissement « retenu » dans son bureau depuis 48 heures. Les syndicats envisagent une manifestation de tous les établissements du groupe le 14 décembre à Paris.

        La direction de GEC-Alsthom aurait-elle été l’objet d’amicales pressions du gouvernement d’Edouard Balladur « qui ne pouvait accepter sans réaction une cure d’amaigrissement d’une entreprise phare et apparemment en bon état, créant un abcès social susceptible de faire de Belfort une martyre et de son maire un héros » ? C’est du moins la thèse avancée par le billet de L’Est Républicain du 26 novembre.

     Un nouveau Comité d’Etablissement est convoqué pour le jeudi 2 décembre. Ce jour là, environ 600 salariés débrayent de 10h30 à 11 h30, ils sont rejoints devant la porte principale par quelques centaines de belfortains venus les soutenir.

      A l’issue de la réunion du CE, la direction annonce qu’elle ne procèdera à aucun licenciement « sec ». Si cette annonce, accueillie avec satisfaction, donne une allure de victoire à cet épisode de grèves, les syndicats ne désarment pas pour autant et renouvellent l’appel à la manifestation unitaire de tous les établissements du groupe pour le 14 décembre à Paris.

1983: La bataille pour l’emploi à Delle.

 

       L’« état de grâce » dont bénéficie le gouvernement commence à être sérieusement écorné au début de l’année 1983 par les politiques patronales de restructurations et de réduction des effectifs.

      En particulier, à Delle où la direction de l’usine UDD-FIM annonce, en février, la suppression de 119 emplois.

     Spécialiste de la fabrication du fil électrique, UDD-FIM est une institution dans la deuxième ville du département. Créées respectivement en 1920 et 1927, les usines UDD et FIM ne sont regroupées que depuis 1965. Intégrées à la holding italo-suisse ISOLA en 1970, elles viennent d’être rachetées par la multinationale américaine United Technologies, qui compte 220 000 salariés de par le monde, en 1982. Les premières mesures de « rationalisation » ne se font donc pas attendre. A Delle, l’émotion est d’autant plus grande que depuis 1977 cinq plans de licenciements se sont déjà succédés faisant disparaître 440 emplois dans l’entreprise.

     A l’appel des syndicats CGT et CFDT, ce sont plus de 1 000 Dellois qui défilent en ville le 19 février 1983. En tête du cortège on remarque la présence des élus

P15.jpg
P16.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

socialistes et communistes du département ceints de leur écharpe tricolore dont le député Raymond Forni. Selon la presse, c’est la plus grande manifestation qu’ai connu Delle depuis 1968. Lors des prises de paroles, Pierre Richard, pour la CFDT déclare notamment : « Ces licenciements ne règleront pas les problèmes posés à UDD-FIM. L’ouverture de nouveaux marchés, la recherche de produits de remplacement pour sortir l’entreprise de sa situation de sous-traitant et la réduction à 35 heures hebdomadaires de la durée du travail peuvent être de nature à maintenir l’emploi ».

Puis pour la CGT, Angelo Botteli, après avoir développé la même argumentation, conclu que « si son organisation ne fera pas obstacle à ceux qui veulent négocier leur départ ou postuler à l’extérieur, la solution est à l’intérieur de l’entreprise par la réduction du temps de travail ».

On manifeste en famille le 19 février 1983 à Delle. (Archives  UD CGT)

Beaucourt, 1980-1982.

De Japy à Leroy-Sommer, une agonie programmée.

   Horloger de formation, capitaine d’industrie par vocation, Frédéric Japy est le premier maillon d’une chaîne d’entrepreneurs qui, en deux siècles, transforme Beaucourt de petit village agricole en cité industrielle.

    De 1772, création du premier atelier, à 1954, départ d’Albert Japy, la dynastie construit puis règne sur un empire industriel dynamique et diversifié.

   A l’horlogerie, activité initiale, s’ajoutent au fil des années, des inventions et des brevets, de nouvelles productions concernant des secteurs aussi variés que la lustrerie, la mécanographie, la visserie-boulonnerie, les appareils ménagers, les pompes et moteurs électriques avec, pendant les deux guerres, les obus, les fusées d’obus, les casques, gamelles et bidons.

   Si l’entreprise prospère au XIXe siècle, le XXe est moins favorable. La crise des années 30 puis la deuxième guerre mondiale cassent la dynamique Japy. Devant à la concurrence, la diversification n’est plus un atout. Pour faire face l’entreprise abandonne des secteurs complets de sa production, notamment l’horlogerie et la lustrerie. Ne pouvant plus compter sur ses fonds propres, elle fait appel aux banques. C’est la fin de l’entreprise familiale. En 1955, les Etablissements Japy Frères et Cie disparaissent et sont remplacés par quatre sociétés :

  • Deux majeures : la Sté de Mécanographie Japy (machines à écrire) et la Sté d’Electromécanique Japy (pompes et moteurs électriques).

  • Deux moins importantes : la Sté de visserie et boulonnerie Japy et la Sté d’Equipement ménager Japy.

   Commence alors une lente mais inexorable régression. La Mécanographie, fleuron du groupe, est bradée. Après un « accord de coopération », elle est rachetée par son principal concurrent, la Sté suisse Paillard qui liquide la production des machines à écrire. Devenue SBM (Société Beaucourtoise de Mécanographie), l’usine fabrique, à partir de 1971, des moteurs électriques.

  

   Parallèlement, la SEJ devient une filiale d’Alsthom, d’abord sous le nom de SOBEMO (Sté Beaucourtoise de Moteurs), puis d’Unelec en 1965 qui elle-même prend le contrôle de SOBEMO en 1971. A cette date, les deux principales usines du groupe, les Prés et les Fontenelles, sont spécialisées dans la fabrication des moteurs électriques.

   En 1977, à l’issue d’une nouvelle déroute financière, les usines beaucourtoises font partie des huit établissements français d’Alsthom-Unelec, filiale du groupe Alsthom-Atlantique.

   Ces restructurations et concentrations successives entraînent de sérieuses suppressions d’emplois. De 2 500 en 1955, les effectifs passent à 1 050 en 1979.

   Cette forte diminution n’est qu’une étape. Le 16 janvier 1980, par une conférence de presse, le Syndicat CFDT tire la sonnette d’alarme. Documents à l’appui, il révèle un plan de restructuration préparé par la direction d’Unelec qui, après une nouvelle réduction des effectifs qui passeraient à 772 en 1982, envisage une fermeture à plus ou moins long terme du site de Beaucourt avec éventuellement le transfert des productions dans un autre site du groupe.

    Avec un cynisme certain, ce plan chiffre, outre le coût des licenciements, les provisions faites en prévisions « des aléas divers, grèves, occupations… »

    « Une bombe », écrit L’Est Républicain. « Un plan scandaleux », commente le député de la circonscription, Raymond Forni.

    Gênée par cette révélation, la direction dénonce dans un communiqué « des informations tendancieuses et affirme sa volonté d’œuvrer pour la survie de l’entreprise. »

     Cette déclaration rassurante fait long-feu. Réuni le 17 septembre 1981 à Paris, le Comité central d’Alsthom-Atlantique apprend la suppression de 259 emplois sur le site de Beaucourt. Justifié par une perte de 25% du chiffre d’affaires, ce plan, baptisé « projet de réorganisation économique », doit « régler définitivement les problèmes de Beaucourt. »La production sera réorientée vers des produits moins banals que les petits moteurs.

Le plan, précise la direction, est sans conséquences sociales. Il prévoit 80 départs en retraite, 20 postes à temps partiel et 159 mutations sur l’établissement Unelec de Belfort, proposées à des salariés volontaires.

    La CGC accepte le plan, « nécessaire à la survie de l’entreprise. » CGT et CFDT le rejettent énergiquement. Dès le lendemain, vendredi 18 septembre 1982, les deux syndicats ouvriers informent les salariés des usines des Prés et des Fontenelles et appellent à l’action.

   Le lundi 28 septembre, à l’appel de CGT et CFDT et aux cris de « Beaucourt doit vivre ! », « Non aux licenciements ! », deux cortèges partis de l’usine des Prés et de l’usine des Fontenelles se regroupent au centre ville, place de la république. Les 350 manifestants entendent successivement MM. Lavalleur (CGT) et Guérringue (CFDT) dénoncer le plan de restructuration présenté le matin même au CE de l’établissement. Troisième orateur, le maire de Beaucourt, M. Maillard, assure les travailleurs du soutien de la municipalité tout en exprimant sa défiance vis-à-vis de la direction.

   Début octobre, après l’annonce de la fermeture de la fonderie des Fontenelles, les ouvriers concernés occupent leur atelier dans un climat de forte tension.

    La direction ne calme pas le jeu. A deux reprises, à son initiative, des commandos de non-grévistes tentent d’enfoncer les piquets de grève de la fonderie. Deux coups de force repoussés à la lance à incendie par les grévistes.

   Le 16 octobre, la tension retombe un peu après l’ordonnance du juge des référés qui répond à la demande de la direction par un compromis : pas d’évacuation immédiate du piquet de grève mais un délai de huit jours accordé permettant d’entamer des négociations.

   Celles-ci débutent le 19 octobre en préfecture où, suite à une demande du maire de Beaucourt, direction et syndicats acceptent de se rencontrer. Cette « table ronde », qui rassemble les trois directeurs d’Unelec et six délégués syndicaux, se termine par un moratoire.

    Les effectifs sont gelés jusqu’au 15 janvier 1982 en attendant les résultats d’une expertise sur la situation de l’usine mais, un appel est fait aux volontaires pour être mutés à Belfort.

Tout en saluant « une première victoire », CFDT et CGT prônent  la vigilance et la mobilisation. Une prudence justifiée par l’attitude ambigüe de la direction qui, tout en acceptant le gel de la situation, poursuit sa politique de restructuration au sein des deux usines et manifeste une mauvaise volonté évidente à participer à l’expertise sur la situation de l’entreprise.

    Après le changement politique intervenu le 10 mai 1981, la nationalisation, en février 1982, du groupe CGE dont fait partie Alsthom-Atlantique entretient un certain climat de confiance du côté des syndicats. Une confiance qui cède rapidement la place à l’inquiétude quand la direction d’Alsthom-Atlantique annonce, le 31 mars, lors d’un CE extraordinaire, la cession de la fabrication des petits moteurs électriques au groupe concurrent Leroy-Sommer. Comme l’activité cédée est « déficitaire », Leroy-Sommer bénéficie en plus  d’une double « aide » : 95 millions de francs versés par Alsthom et 85 millions de l’Etat sous forme d’un prêt pour « améliorer la productivité ». Leroy-Sommer ne reprenant que 550 des 750 salariés d’Unelec, il est proposé aux 200 évincés d’intégrer, soit Alsthom, soit une nouvelle société implantée à Beaucourt, Audiovox.

    Pour les syndicats, cette cession du site de Beaucourt à Leroy-Sommer est un scandale, une confirmation et une forte déception. Un scandale car elle a été prise sans aucune concertation et surtout sans tenir compte des conclusions des deux études engagées après la table ronde d’octobre 1981.

   C’est aussi la confirmation, surtout pour la CFDT, que depuis 1980, la direction n’a qu’un seul objectif, fermer les usines de Beaucourt.

La déception vient de l’attitude du gouvernement, la direction insistant que ce plan a été soumis à son approbation. Du côté des syndicats, les commentaires sont acerbes, allant du « manque de fermeté des pouvoirs publics » à la dénonciation de « leur complicité dans le sabotage des emplois à Beaucourt ».

   Le refus du plan s’accompagne d’une succession d’actions :

  • Le jeudi 1er avril, meeting commun CGT-CFDT avec délégation en mairie.

  • Le 2 avril, lettre ouverte aux parlementaires.

  • Le 5 avril, manifestation et délégation à la préfecture de Belfort.

  • Reçue à sa demande par le ministère de l’Industrie, la CFDT dénonce une parodie de consultation et une politique du fait accompli.

  • Signée massivement par le personnel, une lettre-pétition est envoyée au Président de la République le 9 avril, demandant son intervention pour maintenir à Beaucourt les 800 emplois promis par les pouvoirs publics.

  • Le 15 avril, nouvelle manifestation devant la préfecture de Belfort.

  • Le 19 avril, conférence de presse de l’UD CGT proposant un référendum.

  • Le 1er mai 1982, la manifestation départementale de la CGT est organisée symboliquement à Beaucourt au lieu de Belfort. Le secrétaire de l’UD, André Kaufmann, rappelle les propositions de la centrale, notamment la concertation, le maintien des emplois et l’implantation de nouvelles fabrications sur le site de Beaucourt.

 Ce baroud d’honneur est sans effet ; depuis plusieurs semaines, le ministre de l’industrie Dreyfus est convaincu de la nécessité de restructurer le secteur de la fabrication des moteurs électriques. Dans une lettre adressée début mai à la direction de la CGE, il donne son accord au plan proposé par Alsthom.

       Pour Beaucourt, une page se tourne, Leroy-Sommer prend possession des usines ex Japy et ex Unelec.

 

 

Bull, Le feu de la colère.

16 jours de lutte en novembre 1991.

 

    Triste automne 91 pour les salariés de Bull. En octobre, la direction annonce un nouveau et drastique plan de licenciements qui ferait passer les effectifs de l’usine de 1 400 à 430 personnes.

   Pour justifier ces licenciements, la direction avance une argumentation inchangée depuis la fin des années quatre-vingt. La fabrication des éléments périphériques d’ordinateurs, imprimantes, disques durs, mémoires, n’est plus rentable. Comme le lui impose la législation, la direction se déclare prête à négocier avec les syndicats les conditions de licenciement et de reclassement.

​​L’impasse et l’occupation.

   Abasourdie, la majorité des salariés perd tout espoir d’une issue de maintien de l’emploi et décide de vendre sa peau le plus cher possible.

   Soutenus par une pétition signée par 764 employés, les syndicats CGT et CFDT unis dans la lutte réclament pour chaque licencié une « indemnité de préjudice moral » de 200 000 Francs.

   La première phase des négociations est rude.  Le directeur de l’usine de Belfort, Richard Foliot et  les deux secrétaires des syndicats, Jackie Drouet pour la CGT et Jean-Luc Riblet pour la CFDT discutent pendant  dix heures d’affilées dans la nuit du 5 au 6 novembre. C’est l’échec. La direction refuse le principe même d’une indemnité de préjudice moral et propose une indemnité de départ de 50 000 Francs.

  Réuni en assemblée générale le mercredi 6 novembre, le personnel juge la proposition patronale insuffisante et décide de se mettre en grève immédiatement en occupant le transformateur électrique central. Privée de courant, l’usine est plongée dans l’obscurité. Pour assurer lumière et chaleur aux grévistes occupants, un grand feu est allumé devant le transformateur. Symbole de la détermination des grévistes, alimenté par le bois apporté par ceux qui soutiennent le mouvement, il brûlera sans discontinuité tout au long du conflit ; feu  de la colère il dévore aussi le courrier adressé par la direction.

​

​Tractations et intimidations.

   A partir de ce mercredi, deux assemblées générales se tiennent chaque jour, à 9h et 14h. Elles font le point sur une situation de plus en plus bloquée, les grévistes opposant mobilisation et détermination à l’intransigeance de la direction. Celle-ci mettant en préalable aux négociations,  la levée de l’occupation. Le vendredi 8 novembre, tout en maintenant son préalable, la direction fait passer sa proposition d’indemnité de 50 000 à 80 000 Francs. Alors que débute le long week-end du 11 novembre, les syndicats, tenant compte de cette avancée, réduisent leur exigence de 200 000 à 180 000 Francs.

P17.jpg
P18.jpg
P19.jpg

Manifestations des Bull, les 28 mai et 12 juin 1991.

Une réunion, tenue exceptionnellement le 11 novembre n’apporte pas de solution, la direction refusant toujours le principe d’une indemnité de préjudice. Parallèlement, elle saisit la justice pour occupation illégale du transformateur. La présidente du Tribunal de Belfort rend rapidement, le 12 novembre, une ordonnance donnant raison à la direction. Mais l’éventualité d’un recours à la force publique n’est pas évoquée.

​

 Ultimatum et médiation.

Le jeudi 14, CGT et CFDT reviennent sur leur décision, la direction ayant accepté de mettre à l’ordre du jour la reprise des négociations. La mise en chômage technique est confirmée. Concernant le plan de licenciement, la direction accepte de prolonger de quatre mois, c'est-à-dire jusqu’à la fin de 1992, la durée du congé de reconversion pour les cas difficiles. Mais soufflant le chaud et le froid, elle assortit sa proposition d’un ultimatum : l’occupation doit cesser le samedi 16 novembre à 14h.

  Les grévistes ne se laissent pas intimider. Le vendredi 15, à la très large majorité de 96%, ils votent la poursuite de l’occupation.

  Le conflit semble prendre racines. Mais pressée de toutes parts, notamment par la municipalité de Belfort qui apporte son soutien aux grévistes, la direction de Bull sollicite le 16 novembre une médiation.

  Le 17 novembre, le Directeur départemental du Travail, Daniel Fierobe, est nommé médiateur par le préfet. Le médiateur multiplie les rencontres et consultations et remet ses conclusions le 20 novembre.

La principale mesure est l’annonce que chaque salarié licencié partira avec une indemnité minimum

​

de 100 000 Francs. D’autre part, les congés de formation destinés à faciliter la reconversion des licenciés, seront rémunérés de manière dégressive, les sommes allouées étant proches des demandes syndicales.

Accords et acquis.

  Appelés à voter le jeudi 21 novembre, les grévistes entendent d’abord les délégués CGT et CFDT commenter le projet d’accord. Fidèles à leurs engagements, ils ne donnent pas de consigne. Mais, précise Jackie Drouet, « il y a eu des avancées, c’est grâce au rapport de force que nous avons établi, même s’il était minoritaire ». Le résultat du vote est sans appel. Sur 321 votants, 86% acceptent le protocole d’accord.

  L’après-midi, après avoir pris l’assurance qu’aucune sanction ne serait prise, les grévistes mettent fin à l’occupation. Comme promis, l’extinction du grand feu symbolique est arrosée au beaujolais nouveau, mais sans joie excessive car, comme le conclut un dirigeant syndical, « on ne peut être joyeux quand l’entreprise va passer de 1 400 à 430 salariés d’ici le 1er janvier ».

P20.jpg

Jackie Drouet et Isidore Trullas devant la préfecture lors de la manifestation des Bull du 12 juin 1991.

bottom of page